5 avril

Le lundi 4 avril fut une journée sombre pour l’histoire européenne, mais surtout pour les réfugiés de Lesbos qui ont commencé à être déportés vers la Turquie, soit disant terre d’accueil sûre, où les droits de ces personnes seront respectés. Nous savons tous que ceci est un mensonge. Les réfugiés du Pirée sont pour l’instant passés entre les gouttes, car les déportations forcées vers la Turquie ne s’appliquent qu’aux personnes arrivées sur les îles grecques à partir du 20 mars. Ces dernières ont été maintenues dans des camps de détention gérés par l’armée grecque, avant d’être rejetées vers la mer Egée à coups de centaines par jour.
Peut-être fut-ce les événements de Lesbos qui causèrent cette ambiance électrique au port, ou alors le fait que nous nous sentions tous frire sur le goudron lors cette première journée de grande chaleur (plus de 25C). Dans tous les cas, la tension était palpable et on sentait qu’il suffirait d’une étincelle pour que des bagarres éclatent à nouveau. Les petits étaient très agités et même agressifs. Un enfant de 10 ans m’a même jeté un sac en plastique sur la tête en me le serrant autour du cou. Nous jouons généralement sur un espace situé à côté de la billetterie du quai E1. Ce jour-là, l’employé du guichet a également perdu patience, puisque les enfants faisaient particulièrement beaucoup de bruit sous sa fenêtre. Il a perdu son calme à plusieurs reprises avec nous les volontaires, nous ordonnant d’aller n’importe où ailleurs. Certes, mais là était la seule zone d’ombre non occupée par des tentes…
Dans l’après-midi, j’avoue que je suis partie pour E2, car je ne supportais plus ce climat incandescent. Là-bas, j’ai distribué encore des pampers, stérilisé des biberons, donné du lait pour bébé, distribué du papier toilettes, etc. J’ai aussi partagé du temps avec des volontaires incroyables, toujours à la recherche de manières d’améliorer la vie des réfugiés.
Le jour précédent, un « core volunteer » que je connais avait posté sur Facebook qu’il avait besoin de fonds pour du matériel qui serait ensuite acheminé vers un nouveau camp, à Killini. J’ai répondu présente, et nous avions convenu de nous rencontrer à 11h le lendemain à E1 pour aller faire des achats ensemble. Toute la journée, il n’a cessé de reporter le rendez-vous car il avait une urgence avec une famille de réfugiés qui, disait-il, avait passé 5 jours dans un bus. Je l’ai finalement entrevu le soir à E2, où il a pu m’expliquer qu’il a passé la journée avec la police et des avocats pour essayer d’empêcher le déplacement de force de cette famille vers un des camps. Je n’ai malheureusement pas compris l’histoire en détail, car ce volontaire grec était assez stressé au moment de me la raconter. Tout ce que j’ai su était que l’affaire n’était pas terminée.
Ce matin, il m’apprend par Facebook qu’une autre personne a réussi à mettre les 14 membres de cette famille dans un train pour Athènes et qu’il a pu les récupérer à 4h du matin à la gare, pour ensuite les accueillir chez lui, où elles logent en ce moment de manière temporaire. Il m’apprend aussi qu’en plus d’avoir tenté de retenir ces personnes contre leur gré, la police a frappé les enfants. Pour l’instant, je ne sais rien de plus.


Courses pour les enfants de E1

J'ai passé mes dernières heures à Athènes acheter plein de matériel pour les enfants. Grâce à l’engagement de la volontaire américaine qui a chapeauté les ateliers avec les enfants, un container a été livré pour nous à E1. Il ne pourra certes pas accueillir la soixantaine de petits de E1 qui nous rendent visite (de plus, cet endroit est un fourneau), mais il nous permettra de stocker notre matériel et d’avoir un petit endroit propre et calme – une rareté ici. Le projet est éphémère, puisque les autorités grecques disent vouloir évacuer le Pirée dans les deux semaines à venir. Toutefois, il ne fait aucun doute lorsque nous les entendons rire, que chaque jour où nous réussissons à apporter de la couleur et un semblant de stabilité à ces enfants déscolarisés en vaut le coup.


Container transformé en mini-école à E1

Je suis infiniment heureuse d’être venue au Pirée, d’avoir pu soulager un peu ces réfugiés qui n’ont rien d’autre à ce stade que ce que les donneurs et les volontaires leur offrent. It felt good to be in the right place. De plus, je suis intimement convaincue que chaque personne que j’ai aidée sera plus encline à aider les autres à son tour, lorsqu’elle le pourra. Concernant mon expérience en tant que volontaire, il est vrai que les enjeux, la gravité de la situation ainsi que son caractère instable nous mènent facilement à ne plus pouvoir décrocher de cette dure réalité. On tombe aisément dans le piège de travailler trop longtemps, de ne pas se reposer assez ni s’alimenter correctement, ou encore de se laisser atteindre par le stress généré par la recherche incessante des dernières informations politiques ou du terrain. Mais pour le reste, je tiens à dire que mes tâches ici n’étaient ni difficiles en soi, ni extraordinaires. On peut même dire que les activités au Pirée ressemblent à celles d’un volontaire à un festival : distribution d’articles, nettoyage, coordination de personnel, gestion des foules, sécurité, information. Rien de sorcier. Nous en serions tous capables.
Grâce à votre générosité, nous avons réussi à récolter ensemble la somme inespérée de 2’500Chf. Un tout grand MERCI !!!! Sur ceux-ci, 200chf sont allés à l’achat de matériel pour les enfants du quai E1. Je suis aussi dans l’attente de savoir si la famille d’hier soir a besoin d’argent pour un hôtel un avocat ou des billets de bus pour se rendre dans un camp aux conditions acceptables. Quant au reste, la plus grande partie de cette somme contribuera au projet de mes collègues, qui font un crowdfunding pour acheter un camion en vue de pouvoir d’acheminer tous les dons entreposés à Athènes vers le reste des camps en Grèce. Je vous tiens au courant des opérations dès que tout cela est signé.
Arrivée à la fin de mon temps ici, je pars néanmoins le cœur très lourd. Plus les journées passaient, plus j’ai entendu des volontaires murmurer avec désolation que les frontières de l’Europe ne s’ouvriraient pas. Après avoir passé 9 jours au Pirée, aux côtés de personnes qui ont tout perdu, tout vendu pour fuir la guerre et sauver leur vie ainsi que celles de leurs proches… Après avoir observé leur détresse, qui n’est rien encore en comparaison avec celle qu'ils ont connu sur place, c'est-à-dire la peur d’être enlevé, envoyé au front ou encore torturé… Après avoir travaillé auprès de gens merveilleux venus de par le monde pour témoigner leur solidarité en offrant de leur temps, de leur argent et de leur amour en bouclier contre des politiques inhumaines… Après avoir rencontré ces Grecs qui sont présents sur le port depuis des mois, qui ne prennent même plus le temps d’avoir une vie à côté car ils se battent eux aussi contre l’injustice… Après tous les messages de solidarités et les dons reçus de votre part, mes chers amis… Après tout cela, je ne peux pas croire que l’Europe reste si cruellement insensible.
Qu’est-ce qui attend ces gens du Pirée au jour d’aujourd’hui ? Dans un premier temps, ils seront tous déplacés vers des camps officiels, tenus par les autorités grecques, où ils pourront déposer des demandes d’asile. Puis après ? Il semblerait que des plans d’accueil se mettent en place pour les Syriens et les Irakiens, mais ils ne couvrent de loin pas le nombre de réfugiés actuellement déplacés et sont fixés à 2018 ou 2020. Entre temps, l’Europe prévoit de laisser ces gens vivre dans des camps. Quant aux Afghans, leur pays n’étant plus reconnu comme « à risque » (je ne sais plus l’appellation exacte) depuis environ un mois, ces derniers seront rapatriés chez eux, de même que les ressortissants de nombreux autres pays "sûrs".

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