3
avril
J6 s’est terminé tard dans la soirée.
J’ai commencé par passer l’après-midi à E1 à nouveau avec les enfants. A l’arrêt
de bus pour m’y rendre, j’ai fait la connaissance d’un backpacker auquel j’ai
prêté de la crème solaire. Il allait prendre le bateau pour une île et devait
aussi se rendre à E1. Comme il avait 2 heures d’avance, je lui ai proposé de
nous aider dans nos tâches, ce qu’il a fait avec grand plaisir. #peoplecare
La petite Amina était de
nouveau accrochée à moi toute la journée, sans que je ne voie une seule fois
ses parents. A côté de cela, mes talents pour le dessin sur visage se sont
grandement améliorés, tout comme ma rapidité, qui est une compétence à développer
à tout prix lorsqu’autant d’enfants demandent notre attention. Dans toute cette
effervescence, je dois pourtant faire attention à bien m’attacher les cheveux
et ne pas trop laisser les petits s’approcher de mon visage (c’est un échec
évidemment… comment dire non à des bisous ?), puisqu’une épidémie de poux s’est
déclarée chez les enfants.
Sur les coups de 18h, je me
rends à E2. Alors que je termine d’avaler ma barre énergétique en chemin, un
groupe de 4 hommes s’approche de moi. Ils me demandent des informations sur la
procédure d’asile pour les personnes venant du Balouchistan. Dans un premier
temps, je crois avoir mal compris, puisque je n’ai jamais entendu parler de cet
endroit de toute ma vie. Mais non, en guerre avec le Pakistan, ce pays ou cette
région existe bel et bien. Je me rends compte encore une fois du melting-pot
que représente ce port, précédemment traversé par des touristes et aujourd’hui
peuplé principalement de réfugiés déracinés par la guerre. N’ayant quasiment
aucune connaissance des procédures d’asile, je les amène auprès d’autres
volontaires responsables. On les appelle « core volunteers », c’est-à-dire des
gens qui sont là depuis 2-3 ou éventuellement 4 semaines et qui en savent un
tout petit peu plus sur la manière dont les choses se passent. Mais rappelons que
tout le monde baigne dans un flou total.
C’est le weekend pour les
Grecs, ainsi que la fin des vacances de Pâques pour beaucoup de volontaires
internationaux. Il en résulte que très peu de volontaires sont présents à E2
lorsque j’arrive, et c’est un peu la pagaille pour distribuer le repas du soir
ainsi que pour trouver des volontaires qui feront la permanence de nuit. Un
Gallois, qui a dormi 3h la nuit dernière et qui est là depuis 9h ce matin, est
d’accord de rester jusqu’à 1h. Je travaille avec lui une petite heure à la
distribution d’articles d’ « urgence » : papier toilettes (ne jamais donner le
rouleau en entiers), lingettes pour bébés (4 à la fois), pampers (4 à la fois),
verres en plastique (1 par personne), eau chaude, lait en poudre pour bébés (préparer
le biberon avec 3 grosses cuillères pour 100ml). « No, no sugar, sorry ». « No, no 2 glass, one glass
». « You want what ? Sorry, no understand… ».
Panneau indicatif de notre stock au stand de distribution d'articles d'urgence |
Au bout d’une heure, une “core volunteer” me demande si je suis d’accord de surveiller la porte d’entrée de la zone réservée aux volontaires (où l’on stocke les palettes de nourriture, ainsi que les sacs à dos des volontaires). Je passerai donc les 3 prochaines heures assise sur une palette devant cette porte. La première demi-heure est délicate. J’ai enfin un moment de vide pour m’arrêter et je sens que les émotions commencent à monter, suivies de mes larmes. Heureusement, je me reprends lorsque des gens viennent passer du temps avec moi. Un jeune réfugié volontaire de 16 ans – ils sont nombreux, vu qu’il n’y a rien d’autre à faire – vient discuter avec moi. Saad, un garçon irakien très intelligent et drôle, parlant très bien l’anglais pour son âge, et qui sert principalement de traducteur arabe-anglais et parfois même farsi.
Plusieurs personnes
syriennes viennent me présenter des prescriptions données par les Médecins du
monde mais… elles sont en grec et ces derniers ne parlent qu’arabe. Nous
communiquons en langage des signes qu’ils doivent attendre qu’arrive un autre
volontaire. 5-10-15 minutes passent avant que quelqu’un apparaissent. C’est un
réfugié volontaire afghan qui regarde la prescription et me dit qu’ils ont
besoin de fruits. Ma première réaction est de douter un peu du sérieux de la
personne. Les Afghans et les Syriens sont loin d’être amis. De plus, prescrire
des fruits me paraît étrange et je ne sais pas comment il pourrait savoir lire
le grec. Néanmoins, quel autre choix y a-t-il que de l’écouter ? Il va chercher
des fruits pour ces gens, et à ma surprise, ils s’en vont satisfaits.
J’apprendrai plus tard par d’autres volontaires que ces personnes sont
diabétiques.
La dernière heure est
animée par l’enthousiasme de plusieurs jeunes hommes syriens qui viennent
plaisanter et surtout chanter auprès de moi et de ma collègue allemande qui
vient s’assoir pour manger après avoir terminé la distribution de nourriture.
L’un d’entre eux est un très bon chanteur et il nous fait le plaisir d’un petit
concert. Nous sommes une petite dizaine à taper dans les mains et à (essayer
de) chanter le refrain (« Habibi, habibiiii »). C’est un très bon moment,
où je perçois ces hommes dans une position dignifiée pour changer. L’un d’entre
eux s’est même paré de ses lunettes de soleil pour l’occasion.
Je rentre en métro vers 23h avec quelques volontaires. Tout le monde est
exténué. Nous sommes tous si exaspérés par cette attente sans fin. Les jours se
répètent. Mais quand tout cela se terminera-t-il ? Tout bientôt pour moi,
tandis pour les réfugiés du Pirée, rien n’aura changé.
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