Dessins des enfants collés sur un mur du port. Trouvez Charlie!
31 mars
J4 au Pirée à Athènes. Début de soirée, je suis assise dans un parc de la ville, essayant de retrouver quelque part en moi-même un espace paisible au milieu de cette marée d’émotions qui ne cesse de monter. Je me sens bouleversée par ce que je vis et vois, mais ne sais comment l’exprimer. A ce moment précis défilent trois jeunes hommes devant moi, l’un répliquant aux autres : « If this is Paradise, than we fucked it up bad ! » C’est exactement mon sentiment ; mais comment a-t-on fait pour en arriver là ??
Le niveau d’adrénaline était élevé hier soir pour les réfugiés du Pirée comme pour les volontaires. Je vous le disais hier, j’avais été contactée dans l’après-midi par une jeune réfugiée qui était d’accord de m’aider à donner des cours. Quelle inquiétude lorsque j’ai vu que son post suivant sur Facebook annonçait l’éclatement d’une méchante bagarre dans le débarcadère E2 et qu’elle suppliait des volontaires de se rendre sur place rapidement. Plusieurs personnes ont répondu qu’elles arrivaient, et les posts en ligne ont suivi avec des informations sur l’état de la situation à la minute, en mentionnant la présence de la police, des hommes gardant les portes avec des bâtons, l’éclat de nouvelles bagarres dans le débarcadère E1 et des femmes et enfants en larmes. Du fond de mon lit, j’ai suivi avec angoisse cette conversation jusqu’à sa fin, vers 2h du matin, et ce fut une courte nuit pour moi aussi.
Ce matin, voyage très tendu en direction du débarcadère E1 pour travailler avec les enfants. Cependant, je savais que la situation était à nouveau calme et que notre présence auprès des petits était plus nécessaire que jamais. Arrivée sur place, l’ambiance est inquiétante. Les volontaires sont sur le qui-vive et se passent des informations sur les événements de la nuit précédente. La dispute aurait commencé entre deux enfants, un Syrien et un Afghan, et aurait pris feu lorsque les parents seraient intervenus. Plusieurs versions existent mais dans tous les cas, tout le monde s’accorde pour dire que ces événements sont symptomatiques des tensions existantes entre ces deux communautés, non seulement en raison de leur épuisement émotionnel, mais surtout car les Afghans ont l’impression d’être discriminés face aux Syriens, puisqu’au jour d’aujourd’hui les premiers n’ont pas accès à l’asile en Europe.
J’ai à peine le temps de dire bonjour aux petites têtes que je connais déjà et d’essayer d’évaluer leur état émotionnel que je vois qu’il y a des enfants de 7-10 ans qui ont commencé à se jeter des pierres ! Personne ne les surveille à part les volontaires. Heureusement, cela ne m’a pas pris trop longtemps pour calmer la bataille et mettre les pierres à la poubelle. Néanmoins, si le petit Afghan concerné est venu jouer avec nous, je n’ai pas revu de la journée les enfants syriens qui étaient contre lui – ils s’étaient pourtant bien amusés avec nous lundi…
Suite à cela, nous avons heureusement passé une journée calme à faire plein de câlins et de beaux dessins - dont 2 de petites filles qui m’ont croqué le portrait (la fille aux cheveux blonds et la jaquette orange sur une des photos postées) ;-) !!!



J’ai aussi eu la chance d’avoir une longue conversation avec deux adorables jeunes hommes : un Irakien de 26 ans, ingénieur en électronique, et un Syrien de 19 ans, un peu tombeur dans son genre, qui a dû fuir avant d’avoir terminé sa première année de chimie. Ils m’ont confié avoir surtout envie de parler avec des gens nouveaux, d’aller à la rencontre d’autres cultures et de progresser un tant soit peu dans leur connaissance du monde durant leur temps ici (1 mois pour l’un, 3 semaines et 3 jours pour l’autre). En effet, ils s’ennuient à mourir.
Nous avons parlé de plein de choses, parmi lesquelles leurs récits effrayants de la traversée depuis la Turquie. Ils ont tous deux passé à 3h du matin par un soir d’orage (beaucoup moins cher évidemment, même si on parle respectivement de 600 et 1000 euros pour 10km sur un bateau gonflable prêt à craquer) et ont failli mourir sous les vagues… J’ai aussi posé des questions sur leur vie au camp. Celui qui dort dans l’espace intérieur m’explique que la lumière y est allumée toute la nuit, que c’est impossible de dormi à cause de cela et du bruit. L’autre, qui dort dans une tente, n’a qu’une couverture comme matelas, qui se trempe évidemment quand vient la pluie (dimanche dernier par exemple). Tous deux font partie de ceux qui ont essayé de calmer la bataille d’hier soir, alors qu’on les traitait de lâches, et apprennent le français et l’allemand sur internet quand leur téléphone a de la batterie – la file pour charger son téléphone dure 3 heures. L’Irakien, qui tentait aussi de m’expliquer le fonctionnement de la langue chinoise et connaissais des bribes d’espagnol et de russe, à côté du français et de l’allemand, a perdu ses parents dans la guerre et pleure tous les soirs, me disait-il, car il se sent seul au monde. S’agissant du Syrien, il espère rejoindre son petit frère en Allemagne. Comme ce dernier n’était pas aux études, il a fui le pays 8 mois plus tôt, à l’âge de 18 ans, pour éviter d’être envoyé au front. Naturellement, nous avons pris rendez-vous pour notre premier cours d’allemand demain, selon leur souhait Ce sera en petit groupe avec ceux de leurs amis qui « veulent vraiment apprendre ».
Photo prise par Will Turner, 31 mars 2016

Entre deux câlins, j’ai été accostée par une journaliste grecque, pour un des journaux principaux ici, parait-il. Elle a voulu prendre des notes sur qui j’étais, les raisons de mon voyage, mon opinion de la situation ainsi qu’une belle photo en tenue de volontaire. Elle s’est dit touchée par le fait que des gens du monde entier se rendent en Grèce pour aider les réfugiés et m’a donné deux vestes ayant appartenu à ses filles pour que je les distribue à des petites. Elle est partie ensuite avec une famille pour les inviter à se doucher chez elle. J’ai aussi fait la connaissance de Fabien Perrier, journaliste pour Le Temps, qui couvre l’actualité grecque. Lui aussi met sa salle-de-bains à dispositions des réfugiés J

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