Pirée

Durant les vacances de Pâques, je suis partie pour 9 jours en tant que volontaire indépendante pour soutenir les migrants vivant au port d'Athènes. Voir cette crise humanitaire de si près m'a profondément bouleversée, c'est pourquoi je me dois de partager avec vous mon journal de bord écrit sur place au jour le jour. 


28 mars
Premier jour au port. Je ne vous cache pas que j'angoissais un peu ce matin en partant après avoir eu un vague contact avec une personne sur Facebook qui m'avait dit de la rejoindre vers une tente blanche située près du débarcadère E1...
En arrivant sur place, on se retrouve face à des centaines de tentes qui longent tout le port. Il y a plus de 5'000 personnes qui dorment, ou vivent, sur le tarmac.
La souffrance n'est pas directement visible, on dirait le Paléo festival au premier abord, sauf sans bière. Puis, on se rend rapidement compte que c'est aussi sans divertissement ni aucune occupation ni pour les enfants, ni pour les adultes. Mais surtout, c'est à durée indéfinie... Certains sont déjà là depuis 1 mois et ce n'est pas prêt de changer.
J'ai travaillé avec un groupe de 4 personnes aujourd'hui. Ensemble, nous avons joué avec des enfants. Dès que je suis arrivée et qu'on a commencé nos activités, les petits se sont mis à me sauter dans les bras et à vouloir me faire des bisous. J'étais soulagée de voir qu'ils pouvaient encore faire confiance à des inconnus, et je pense que ça leur a fait du bien de passer du temps avec des volontaires enthousiastes et heureux d'être là malgré tout. Probablement leur a-t-on offert un peu de légèreté, qu'ils doivent difficilement trouver auprès de leurs parents en ce moment.



Aujourd'hui j'ai fabriqué des lunettes, des bagues et des bracelets en fil de fer à n'en plus finir, fait l'avion avec des petits, supervisé des sessions de coloriage, appris plein de mots en syrien et en afghan, on m'a fait un nombre incalculable de coupes de cheveux différentes (super contente d'avoir les cheveux longs J et reçu une centaine de câlins ;-)
Heureusement, pendant tout ce temps, mon corps a compris qu'il n'avait pas de droit de faire pipi, ce qui m'aurait brusquement ramené au quotidien des réfugiés.
Tout est si désorganisé ici ! Rein n'est centralisé et les tâches deviennent vite chaotiques. Pour occuper les enfants, nous avons aménagé des tables, autrement dit des planches posées sur des caisses en plastique, sorti des feuilles de coloriage et des stylos. En 2min, nous avions attiré 50 enfants entre 2 et 10 ans qui se sont rapidement disputé les stylos, perdu les bouchons, si bien qu’demi-heure plus tard il y avait des feuilles volantes partout parterre, et des enfants curieux de savoir quelle serait la prochaine activité....
Demain, je change de tâche pour aller à la rencontre d'adultes et voir de quelle manière je peux me rendre utile dans un autre débarcadère. Merci à tous pour votre lecture!


29 mars
Aujourd'hui j'ai clairement avancé d'un cran dans ma compréhension et mon empathie avec la situation des réfugiés (en réalité, ce sont des demandeurs d’asile, mais tout le monde parle de réfugiés. Il y a aussi quelques migrants économiques ici, venant du Maroc par exemple, mais ils sont très peu nombreux).
Ce matin, je me suis rendue dans un autre débarcadère voisin, de réputation beaucoup plus organisé que les autres. Effectivement, la trentaine de nouveaux volontaires que nous étions avons reçu un briefing clair d'une durée de 45min. Le ton était directif, combiné avec un sentiment d'urgence qui traduisait la gravité de la situation. Les indications que nous avons reçues couvraient l'importance de respecter le protocole mis en place par les volontaires long terme, une présentation des différentes cohortes de travail : Distribution de nourriture, Distribution de tout autre article dont vêtements et articles d'hygiène personnelle, Protection - j'ai appris qu'il y a des tentatives d’enlèvements de femmes ou d’enfants sous prétexte de leur promettre rien de plus qu'une douche, Information légale - couvert par des personnes expertisées, Jeux avec les enfants, Hygiène des bébés et "Wash" – ou, autrement dit, hygiène du camp et poubelles. La jeune Greco-Américaine de 23 ans qui tenait le discours a aussi insisté sur le danger que cela représente de distribuer des donations directement à partir d'une voiture; les gens du camp n'ont rien et se rueront dessus, ce qui crée des conflits qui escaladent rapidement.
Lieux de stockage des donations et redistributions: nourriture, vêtements, articles de première nécessité, etc.

Je choisis de travailler dans la distribution de nourriture. Dès que je dois mettre la main sur la personne responsable et comprendre où je peux me rendre utile, je me rends compte que ce beau discours n'a pas couvert le quart des questions que j'avais et que chacun doit se débrouiller par lui-même pour trouver sa place dans cette fourmilière de volontaires. A une tout autre échelle, cette situation reflète un peu celle des réfugiés dans le camp qui souffrent d'une absence totale d'information centralisée et qui doivent eux-mêmes se débrouiller pour comprendre comment se passe la vie du camp, ce qui les attend, comme évoluera leur avenir, etc.
La distribution du repas de midi se fait à 2 endroits opposés du camp, car depuis peu les Afghans et les Syriens ont commencé à se disputer. On envisage même de séparer le camp en plusieurs zones selon la nationalité de chacun, paraît-il. Mon rôle dans cette tâche a consisté principalement à plier en 4 des galettes de pain pour les servir comme accompagnement au repas dans la file afghane. Cela a duré une heure et demi, où les volontaires ont distribué plus de 2'000 repas sur ce site (E2).
Les cuisines du débarcadère où j'étais sont pourtant soulagées, car depuis 10 jours, c'est l'armée grecque qui livre 8'000 repas par jour pour les 5'000 réfugiés présents au port. Ainsi, mes compagnons ne préparent "plus que" 2'000 repas et le petit-déjeuner. Je suis néanmoins obligée de constater que ce repas en question était maigre: une petite assiette d'une forme de risotto accompagné d'une galette, une orange et de l'eau. Cela ne laisse pas de doute que les hommes doivent perdre du poids - j'en perdrais moi aussi !
Dans cette file de personnes qui attendent d’être nourris, j’ai pu constater les mines dépéries de certains. D'autres baissaient le regard de honte, n'osant regarder les volontaires en face lorsqu'on leur distribuait de la nourriture. D'autres encore essayaient de faire la file deux fois, mais cela est surveillé par une responsable devenue physionomiste qui est très stricte à ce sujet: il n'y a tout simplement pas assez de nourriture pour en donner deux fois et l'égalité de traitement envers tous est une valeur prioritaire.
J'ai terminé cette journée épuisée d'essayer de travailler dans ce chaos et de me sentir impuissante. Je me rends compte aussi que si je ressens cela après quelques heures sur place, c'est bien le quotidien de ces réfugiés qui doivent se résigner à vivre dans la dépendance complète, en espérant que nos ressources pour les aider ne s'épuisent pas.
30 mars
J3 à Athènes. J’ai suivi la règle n°1 de la charte des volontaires de cette crise et ai pris du temps pour m’occuper de moi avant de m’épuiser. Cela m’était évident que ce séjour allait être émotionnellement chargé, mais je ne m’attendais pas à ce que le travail de volontaire soit également physiquement lourd. On reste facilement debout de longues heures et c’est très vite fait de ne pas manger ni boire suffisamment ou d’attraper une insolation en jouant trop longtemps au soleil avec les enfants ou en servant des repas. A cela s’ajoute la gifle émotionnelle que représente la journée d’hier et qui n’est pas facile à digérer... Bref, si je partage cela avec vous, c’est surtout parce que cela m’attriste et me frustre beaucoup de ne pas avoir pu retourner « sur le terrain » aujourd’hui, alors que je suis là pour si peu de temps.
Manifestation à Athènes menée par des Grecs et des réfugiés

En attendant, comme tous les jours, j’ai passé beaucoup de temps à lire ce qui se dit sur les groupes d’entraide sur Facebook et à me renseigner sur le matériel que je pourrai acheter avec tous vos précieux dons (merci, merci, merci !!!).
Aussi, une idée m’est soudainement venue de commencer des cours d’anglais pour les adultes ! Ce projet m’enthousiasme énormément car il me semble qu’il serait véritablement utile. En effet, certaines activités commencent à être mises en place pour occuper les enfants. Les adultes en revanche n’ont strictement rien d’autre pour remplir leurs journées que faire la file (pour manger, aller aux toilettes, demander une couverture, etc.) et regarder filer leur espoir en l’avenir… De plus, il me semble que même une maigre connaissance de l’anglais est un outil précieux et «empowering », où que ces personnes finissent par aller en Europe.
Toutefois, rien n’est simple ici et toute nouvelle idée doit passer l’épreuve des considérations pratiques pour savoir si elle pourrait être bonne. Voici le cheminement actuel de celle-ci :
-les espaces intérieurs sont réservés au logement d’une partie des réfugiés ainsi qu’au stockage > les cours devront donc avoir lieu à l’extérieur > trouver des couvertures pour faire asseoir les gens (> m’acheter une casquette et de la crème solaire cette fois-ci).
-les adultes sont nombreux > impossible de fournir un livre à chacun.
-pourquoi ne pas leur prêter des livres, le temps d’une leçon pour pouvoir les redistribuer à chaque fois par la suite > trouver une librairie qui vende ce genre de choses.
-trouvé la librairie ce soir > les livres sont trop chers (30 euros par livre).
-plan B : imprimer des fiches > je ne sais pas où imprimer + en quantité + ça créera des déchets supplémentaires.
-plan C : les élèves reçoivent des cahiers et des stylos pour noter et je fais l’enseignement sur un tableau blanc > trouver un tableau blanc à Athènes > le transporter (projet pour demain matin).
-comment donner un cours sans langue commune et avec aussi peu de matériel > heureusement, un poste sur Facebook me permet d’entrer en contact avec une réfugiée syrienne universitaire qui sait enseigner l’arabe et l’anglais et qui est d’accord de se joindre au projet J

Voilà, je croise les doigts pour que cela marche ! Si en plus ce projet pouvait être porté par une jeune réfugiée, qui plus est une femme, ce serait vraiment merveilleux.
Dessins des enfants collés sur un mur du port. Trouvez Charlie!
31 mars
J4 au Pirée à Athènes. Début de soirée, je suis assise dans un parc de la ville, essayant de retrouver quelque part en moi-même un espace paisible au milieu de cette marée d’émotions qui ne cesse de monter. Je me sens bouleversée par ce que je vis et vois, mais ne sais comment l’exprimer. A ce moment précis défilent trois jeunes hommes devant moi, l’un répliquant aux autres : « If this is Paradise, than we fucked it up bad ! » C’est exactement mon sentiment ; mais comment a-t-on fait pour en arriver là ??
Le niveau d’adrénaline était élevé hier soir pour les réfugiés du Pirée comme pour les volontaires. Je vous le disais hier, j’avais été contactée dans l’après-midi par une jeune réfugiée qui était d’accord de m’aider à donner des cours. Quelle inquiétude lorsque j’ai vu que son post suivant sur Facebook annonçait l’éclatement d’une méchante bagarre dans le débarcadère E2 et qu’elle suppliait des volontaires de se rendre sur place rapidement. Plusieurs personnes ont répondu qu’elles arrivaient, et les posts en ligne ont suivi avec des informations sur l’état de la situation à la minute, en mentionnant la présence de la police, des hommes gardant les portes avec des bâtons, l’éclat de nouvelles bagarres dans le débarcadère E1 et des femmes et enfants en larmes. Du fond de mon lit, j’ai suivi avec angoisse cette conversation jusqu’à sa fin, vers 2h du matin, et ce fut une courte nuit pour moi aussi.
Ce matin, voyage très tendu en direction du débarcadère E1 pour travailler avec les enfants. Cependant, je savais que la situation était à nouveau calme et que notre présence auprès des petits était plus nécessaire que jamais. Arrivée sur place, l’ambiance est inquiétante. Les volontaires sont sur le qui-vive et se passent des informations sur les événements de la nuit précédente. La dispute aurait commencé entre deux enfants, un Syrien et un Afghan, et aurait pris feu lorsque les parents seraient intervenus. Plusieurs versions existent mais dans tous les cas, tout le monde s’accorde pour dire que ces événements sont symptomatiques des tensions existantes entre ces deux communautés, non seulement en raison de leur épuisement émotionnel, mais surtout car les Afghans ont l’impression d’être discriminés face aux Syriens, puisqu’au jour d’aujourd’hui les premiers n’ont pas accès à l’asile en Europe.
J’ai à peine le temps de dire bonjour aux petites têtes que je connais déjà et d’essayer d’évaluer leur état émotionnel que je vois qu’il y a des enfants de 7-10 ans qui ont commencé à se jeter des pierres ! Personne ne les surveille à part les volontaires. Heureusement, cela ne m’a pas pris trop longtemps pour calmer la bataille et mettre les pierres à la poubelle. Néanmoins, si le petit Afghan concerné est venu jouer avec nous, je n’ai pas revu de la journée les enfants syriens qui étaient contre lui – ils s’étaient pourtant bien amusés avec nous lundi…
Suite à cela, nous avons heureusement passé une journée calme à faire plein de câlins et de beaux dessins - dont 2 de petites filles qui m’ont croqué le portrait (la fille aux cheveux blonds et la jaquette orange sur une des photos postées) ;-) !!!



J’ai aussi eu la chance d’avoir une longue conversation avec deux adorables jeunes hommes : un Irakien de 26 ans, ingénieur en électronique, et un Syrien de 19 ans, un peu tombeur dans son genre, qui a dû fuir avant d’avoir terminé sa première année de chimie. Ils m’ont confié avoir surtout envie de parler avec des gens nouveaux, d’aller à la rencontre d’autres cultures et de progresser un tant soit peu dans leur connaissance du monde durant leur temps ici (1 mois pour l’un, 3 semaines et 3 jours pour l’autre). En effet, ils s’ennuient à mourir.
Nous avons parlé de plein de choses, parmi lesquelles leurs récits effrayants de la traversée depuis la Turquie. Ils ont tous deux passé à 3h du matin par un soir d’orage (beaucoup moins cher évidemment, même si on parle respectivement de 600 et 1000 euros pour 10km sur un bateau gonflable prêt à craquer) et ont failli mourir sous les vagues… J’ai aussi posé des questions sur leur vie au camp. Celui qui dort dans l’espace intérieur m’explique que la lumière y est allumée toute la nuit, que c’est impossible de dormi à cause de cela et du bruit. L’autre, qui dort dans une tente, n’a qu’une couverture comme matelas, qui se trempe évidemment quand vient la pluie (dimanche dernier par exemple). Tous deux font partie de ceux qui ont essayé de calmer la bataille d’hier soir, alors qu’on les traitait de lâches, et apprennent le français et l’allemand sur internet quand leur téléphone a de la batterie – la file pour charger son téléphone dure 3 heures. L’Irakien, qui tentait aussi de m’expliquer le fonctionnement de la langue chinoise et connaissais des bribes d’espagnol et de russe, à côté du français et de l’allemand, a perdu ses parents dans la guerre et pleure tous les soirs, me disait-il, car il se sent seul au monde. S’agissant du Syrien, il espère rejoindre son petit frère en Allemagne. Comme ce dernier n’était pas aux études, il a fui le pays 8 mois plus tôt, à l’âge de 18 ans, pour éviter d’être envoyé au front. Naturellement, nous avons pris rendez-vous pour notre premier cours d’allemand demain, selon leur souhait Ce sera en petit groupe avec ceux de leurs amis qui « veulent vraiment apprendre ».
Photo prise par Will Turner, 31 mars 2016

Entre deux câlins, j’ai été accostée par une journaliste grecque, pour un des journaux principaux ici, parait-il. Elle a voulu prendre des notes sur qui j’étais, les raisons de mon voyage, mon opinion de la situation ainsi qu’une belle photo en tenue de volontaire. Elle s’est dit touchée par le fait que des gens du monde entier se rendent en Grèce pour aider les réfugiés et m’a donné deux vestes ayant appartenu à ses filles pour que je les distribue à des petites. Elle est partie ensuite avec une famille pour les inviter à se doucher chez elle. J’ai aussi fait la connaissance de Fabien Perrier, journaliste pour Le Temps, qui couvre l’actualité grecque. Lui aussi met sa salle-de-bains à dispositions des réfugiés J
1er avril

J5, journée calme pour une volontaire à E1, même si mon manque de sommeil commence à peser. Malgré la coupure des 20min de métro, de l’ambiance backpacker de l’auberge de jeunesse dans laquelle je loge, du bon petit plat le soir, de la douche chaude et du lit douillet, cela reste difficile de se déconnecter de ce qui se passe au port le soir venu. Les questions affluent. Comment aider les réfugiés au mieux ? Faire vite ! Réfléchir de manière pratique et réaliste. Est-ce mieux d’aller « m’essayer » à différents postes pour acquérir une vue d’ensemble ou de me fidéliser à un seul endroit pour devenir plus efficace ? Mais à quoi bon tout ça en fin de compte ? Bien sûr que ma présence aide un peu pour améliorer le quotidien des réfugiés, mais l’Europe paraît aveugle à l’engagement des volontaires, des protestataires et des donneurs.


Amina, environ 3 ans. Entre gros câlins et grosses colères...déjà marquée par cette situation.

Plusieurs cars étaient présents au Pirée ce matin lors de mon arrivée. La petite Amina me court dans les bras. Je la soulève et la garde contre moi alors que je tente d’écouter ce qu’un homme grec explique à un groupe de réfugiés affichant des regards confus et inquiets. Il semblerait que ces bus aillent dans des camps officiels, là où les réfugiés peuvent s’enregistrer et espérer que leur dossier soit pris en considération pour entrer en Europe. Le problème est que ces camps, tenus par l’armée grecque, font parfois état de conditions déplorables, si bien que les réfugiés préfèrent revenir au Pirée. D’autres, en revanche, représentent une amélioration certaine avec des cabanons pour les familles, par exemple.
En recroisant Tamman, le jeune Syrien, je lui demande pourquoi lui et sa famille ne sont pas dans le bus. Il me répond qu’ils l’ont déjà pris une fois et se sont retrouvés dans un camp qui paraissait effrayant « au milieu d’une forêt ». Sa famille et lui ont refusé de descendre mais ont dû payer le billet de retour à Athènes. Comme tant d’autres, je l’ai vu passer la journée la mine grise, à faire la file auprès des containers des ONGs pour tenter d’avoir des informations ou à discuter sombrement avec ses compatriotes. 19 ans, quelle jeunesse….
J’ai aussi fait la connaissance d’un homme Syrien qui porte son bébé dans les bras. Elle a 9 mois elle est née quelques semaines avant leur fuite et n’a connu que cette vie. Chez lui, me disait-il dépité, il avait une jolie maison et une bonne situation.


Papa syrien avec son enfant âgé de 9 mois
L'oeuvre de l'artiste en herbe
Avec les enfants, nous avons inauguré la peinture sur visage, ce qui leur a immensément plu ! Je me suis pourtant fait avoir à mon propre jeu lorsqu’un jeune artiste a voulu essayer ses talents sur moi. Tous les jours, des volontaires nouveaux arrivent pour aider. Nous avons eu la chance d’être nombreux aujourd’hui : une Américaine, une Anglaise, un Espagnol, un Mexicain, une Allemande et un Grec. Chaque jour, nous faisons face aux mêmes défis : trouver une planche qui servira de table pour dessiner, trouver des cageots (de hauteur égale) pour la poser dessus, trouver des couvertures pour faire asseoir les enfants, retrouver notre matériel de jeu en espérant qu’il soit toujours où nous l’avons caché dans les stocks…



S’agissant des volontaires, ils viennent vraiment de partout et cela me redonne tant de courage. J’ai même rencontré deux familles biennoises venues pour 2 semaines avec leurs enfants âgés entre 16 et 25 ans et qui travaillent à E2 à la distribution de nourriture. Il y a aussi des touristes de passage qui passent par les camps : une famille d’Allemands ou un Mexicain en vacances qui décident d’aider pour un jour. Les gens se sentent concernés, et comment ne pas partager cette émotion lorsque l’on est face à la réalité de personnes qui n’ont plus rien que leur passeport (qu’ils prennent même aux WC) ?
A un moment donné ce matin, un jeune d’environ 20 ans me demande avec un accent américain si je sais où il peut trouver de l’eau. Il a l’air « occidentalisé », mais en même temps sa peau est mate et ses cheveux foncés. Je suis très empruntée, car je ne sais pas si c’est un réfugié ou un volontaire, et je me rends compte que la réponse que je vais lui donner dépend de cela. Il se trouve que c’est un réfugié. Et d’un coup, le mot « réfugié » sur les lèvres de ce garçon dont je me sentais proche, probablement de par le partage d’une culture télévisuelle et universitaire, le renvoie dans une catégorie à peine concevable, même d’où je suis. Celle qui n’a pas accès aux mêmes endroits du port que moi, qui devra faire la file pour obtenir de l’eau, qui dort dehors, ne peut pas se doucher, ne connaît aucune intimité depuis des mois, ne peut se permettre aucun projet d’avenir, etc.



 Vidéo de Tammam sur la BBC


Souvenez-vous que je vous ai parlé de ma rencontre d’hier avec deux jeunes gens? Il s’agit de Suhayib d’Irak et de Tammam de Syrie (cliquer sur l'image pour voir sa vidéo à la BBC). Vous les retrouverez, par coïncidence, dans l’article de Fabien Perrier, journaliste au Temps, qui clôturera ce post (cliquer sur l'image pour trouver le lien).





3 avril

J6 s’est terminé tard dans la soirée. J’ai commencé par passer l’après-midi à E1 à nouveau avec les enfants. A l’arrêt de bus pour m’y rendre, j’ai fait la connaissance d’un backpacker auquel j’ai prêté de la crème solaire. Il allait prendre le bateau pour une île et devait aussi se rendre à E1. Comme il avait 2 heures d’avance, je lui ai proposé de nous aider dans nos tâches, ce qu’il a fait avec grand plaisir. #‎peoplecare
La petite Amina était de nouveau accrochée à moi toute la journée, sans que je ne voie une seule fois ses parents. A côté de cela, mes talents pour le dessin sur visage se sont grandement améliorés, tout comme ma rapidité, qui est une compétence à développer à tout prix lorsqu’autant d’enfants demandent notre attention. Dans toute cette effervescence, je dois pourtant faire attention à bien m’attacher les cheveux et ne pas trop laisser les petits s’approcher de mon visage (c’est un échec évidemment… comment dire non à des bisous ?), puisqu’une épidémie de poux s’est déclarée chez les enfants.
Sur les coups de 18h, je me rends à E2. Alors que je termine d’avaler ma barre énergétique en chemin, un groupe de 4 hommes s’approche de moi. Ils me demandent des informations sur la procédure d’asile pour les personnes venant du Balouchistan. Dans un premier temps, je crois avoir mal compris, puisque je n’ai jamais entendu parler de cet endroit de toute ma vie. Mais non, en guerre avec le Pakistan, ce pays ou cette région existe bel et bien. Je me rends compte encore une fois du melting-pot que représente ce port, précédemment traversé par des touristes et aujourd’hui peuplé principalement de réfugiés déracinés par la guerre. N’ayant quasiment aucune connaissance des procédures d’asile, je les amène auprès d’autres volontaires responsables. On les appelle « core volunteers », c’est-à-dire des gens qui sont là depuis 2-3 ou éventuellement 4 semaines et qui en savent un tout petit peu plus sur la manière dont les choses se passent. Mais rappelons que tout le monde baigne dans un flou total.
C’est le weekend pour les Grecs, ainsi que la fin des vacances de Pâques pour beaucoup de volontaires internationaux. Il en résulte que très peu de volontaires sont présents à E2 lorsque j’arrive, et c’est un peu la pagaille pour distribuer le repas du soir ainsi que pour trouver des volontaires qui feront la permanence de nuit. Un Gallois, qui a dormi 3h la nuit dernière et qui est là depuis 9h ce matin, est d’accord de rester jusqu’à 1h. Je travaille avec lui une petite heure à la distribution d’articles d’ « urgence » : papier toilettes (ne jamais donner le rouleau en entiers), lingettes pour bébés (4 à la fois), pampers (4 à la fois), verres en plastique (1 par personne), eau chaude, lait en poudre pour bébés (préparer le biberon avec 3 grosses cuillères pour 100ml). « No, no sugar, sorry ». « No, no 2 glass, one glass ». « You want what ? Sorry, no understand… ». 


Panneau indicatif de notre stock au stand de distribution d'articles d'urgence

Au bout d’une heure, une “core volunteer” me demande si je suis d’accord de surveiller la porte d’entrée de la zone réservée aux volontaires (où l’on stocke les palettes de nourriture, ainsi que les sacs à dos des volontaires). Je passerai donc les 3 prochaines heures assise sur une palette devant cette porte. La première demi-heure est délicate. J’ai enfin un moment de vide pour m’arrêter et je sens que les émotions commencent à monter, suivies de mes larmes. Heureusement, je me reprends lorsque des gens viennent passer du temps avec moi. Un jeune réfugié volontaire de 16 ans – ils sont nombreux, vu qu’il n’y a rien d’autre à faire – vient discuter avec moi. Saad, un garçon irakien très intelligent et drôle, parlant très bien l’anglais pour son âge, et qui sert principalement de traducteur arabe-anglais et parfois même farsi.
Plusieurs personnes syriennes viennent me présenter des prescriptions données par les Médecins du monde mais… elles sont en grec et ces derniers ne parlent qu’arabe. Nous communiquons en langage des signes qu’ils doivent attendre qu’arrive un autre volontaire. 5-10-15 minutes passent avant que quelqu’un apparaissent. C’est un réfugié volontaire afghan qui regarde la prescription et me dit qu’ils ont besoin de fruits. Ma première réaction est de douter un peu du sérieux de la personne. Les Afghans et les Syriens sont loin d’être amis. De plus, prescrire des fruits me paraît étrange et je ne sais pas comment il pourrait savoir lire le grec. Néanmoins, quel autre choix y a-t-il que de l’écouter ? Il va chercher des fruits pour ces gens, et à ma surprise, ils s’en vont satisfaits. J’apprendrai plus tard par d’autres volontaires que ces personnes sont diabétiques.
La dernière heure est animée par l’enthousiasme de plusieurs jeunes hommes syriens qui viennent plaisanter et surtout chanter auprès de moi et de ma collègue allemande qui vient s’assoir pour manger après avoir terminé la distribution de nourriture. L’un d’entre eux est un très bon chanteur et il nous fait le plaisir d’un petit concert. Nous sommes une petite dizaine à taper dans les mains et à (essayer de) chanter le refrain (« Habibi, habibiiii »). C’est un très bon moment, où je perçois ces hommes dans une position dignifiée pour changer. L’un d’entre eux s’est même paré de ses lunettes de soleil pour l’occasion.

Je rentre en métro vers 23h avec quelques volontaires. Tout le monde est exténué. Nous sommes tous si exaspérés par cette attente sans fin. Les jours se répètent. Mais quand tout cela se terminera-t-il ? Tout bientôt pour moi, tandis pour les réfugiés du Pirée, rien n’aura changé.
4 avril

Evènement rigolo de J7 : en me brossant les dents dans la salle de bains commune de l’auberge, je croise un Ecossais, qui l’on découvre vit à deux pas de chez moi à Lausanne ! Il est en vacances ici et me demande la raison de ma visite à Athènes. Je lui dis que comme j’ai des vacances scolaires, je suis venue investir un peu de mon temps ici. En rigolant, il me demande si je suis folle de vouloir travailler durant mes vacances. Son commentaire me blesse par son absence d’empathie, et le ventre serré, je lui réponds que s’il prenait le temps de descendre au port, il verrait que je suis loin d’être devenue folle.
A E1, nous avons poursuivi nos dessins et notre peinture sur visage – beaucoup, beaucoup de peinture sur visage. Heureusement, nous n n’avons pas de miroir, ainsi les petits ne peuvent pas voir tout de suite que ce que j’ai fait ne ressemble que vaguement à l’image qu’ils me pointent du doigt sur la brochure.
Le lieu où nous jouions avec les enfants à E1 (cliquer pour vous la vidéo)

Je donne aussi un cours d’allemand à Suhayb, qui cette fois-ci (c’est le deuxième cours) a fait venir un ami à lui qui étudie l’allemand depuis 2 semaines sur internet. Ce dernier a recopié un cahier plein de données et connaît déjà l’équivalent du vocabulaire que j’enseigne en 7P, je suis impressionnée. Durant notre leçon, des journalistes luxembourgeois s’approchent de nous. Ils voudraient pouvoir interviewer mes deux amis. A ma surprise, ces derniers refusent, car, disent-il, ils sont fatigués de parler aux journalistes et que « I don’t want to be famous ». Les journalistes comprennent, et nous informent qu’aucun réfugié jusqu’à présent ne souhaite faire d’interview avec eux.
Tamman m’ayant appris que sa mère est coiffeuse, je lui demande si c’est possible qu’elle me couple les pointes. Je n’ai absolument pas envie de raccourcir mes cheveux, mais je suis d’accord de sacrifier quelques petits centimètres pour passer du temps avec cette dame et lui permettre de se sentir utile. Nous nous mettons debout, au bord de l’eau. Je la munis du ciseau à couper le papier des enfants, et c’est parti. Toute la famille est présente et observe joyeusement. La maman a l’air ravie. Je lui ferai un petit cadeau sous forme de maquillage aujourd’hui pour la remercier. Même si elle n’en fait visiblement pas partie, beaucoup de femmes en manquent et j’ai déjà vu des mines très déçues lorsque j’ai répondu que je n’en avais pas.

Le soir, je me rends de nouveau à E2 pour aider avec la distribution de nourriture. Il y a un nouveau groupe de 6 jeunes Suisses qui viennent d’arriver. Nous sommes là en force ! Cette fois-ci, c’est compliqué. A peu près 600 personnes sont parties avant-hier avec les bus vers des camps officiels. Cependant, l’armée livre toujours autant de nourriture à notre stand sur le parking de E2. Nous déchargeons tout cela et nous nous retrouvons avec une immense quantité, la moitié constituée de paquets de haricots en sauce, l’autre de patates aux herbes. Nous ne savons que faire. La volontaire la plus ancienne ce soir-là, âgée de 22 ans et sur place depuis une semaine, décide de distribuer d’abord les beans pour éviter les plaintes en fin de file, puisqu’il ne serait probablement plus resté de patates pour les derniers. Nous faisons ainsi, en essayant de cacher un peu les cageots de pommes-de-terres à nos pieds. Evidemment, sur la fin, les réfugiés se rendent compte qu’il y a aussi des pommes-de-terres et refusent de prendre les beans, si bien que nous nous retrouvons dans la situation ridicule de devoir dire « No potatoes » alors qu’elles sont visibles… Cela énerve les gens et le ton monte un peu, mais ils finissent par prendre les beans, l’air un peu dégoûtés. Nous ramenons ensuite tout le surplus à la cuisine, à nouveau pour ne pas faire de jaloux, et nous nous empiffrons de patates qui… ne passent pas très bien finalement.

Je passe la fin de la soirée comme celle d’hier à la distribution d’articles d’urgence. Notre petit espace ouvert se trouve en plein milieu du hangar où dorment les familles et personnes vulnérables. A mesure que l’heure avance, nous sentons que les gens se fatiguent. Ils n’arrivent pas à dormir et deviennent agités et nerveux. Ils prennent beaucoup moins bien des refus comme « No, no sugar » ou « No, no tchai ». Mon collègue pointe du doigt le fait que les lumières pleinement allumées n’aident pas, car cela n’est pas propice au calme ni au repos. Plusieurs volontaires cherchent les interrupteurs dans tout le bâtiment mais ne trouvent rien. Peut-être sont-ils dans les toilettes des femmes, se dit l’un d’entre eux. Je suis la seule à pouvoir m’y rendre étant la seule femme. Par chance, c’est bien ici, et je ressens un sacré sentiment de satisfaction au moment où je parviens baisser la lumière sur le hangar, avant de partir prendre le dernier métro.

SUITE >>>
Hangar E2, ancien hall d'attente pour les touristes à présent utilisé pour loger les familles et personnes vulnérables


5 avril

Le lundi 4 avril fut une journée sombre pour l’histoire européenne, mais surtout pour les réfugiés de Lesbos qui ont commencé à être déportés vers la Turquie, soit disant terre d’accueil sûre, où les droits de ces personnes seront respectés. Nous savons tous que ceci est un mensonge. Les réfugiés du Pirée sont pour l’instant passés entre les gouttes, car les déportations forcées vers la Turquie ne s’appliquent qu’aux personnes arrivées sur les îles grecques à partir du 20 mars. Ces dernières ont été maintenues dans des camps de détention gérés par l’armée grecque, avant d’être rejetées vers la mer Egée à coups de centaines par jour.
Peut-être fut-ce les événements de Lesbos qui causèrent cette ambiance électrique au port, ou alors le fait que nous nous sentions tous frire sur le goudron lors cette première journée de grande chaleur (plus de 25C). Dans tous les cas, la tension était palpable et on sentait qu’il suffirait d’une étincelle pour que des bagarres éclatent à nouveau. Les petits étaient très agités et même agressifs. Un enfant de 10 ans m’a même jeté un sac en plastique sur la tête en me le serrant autour du cou. Nous jouons généralement sur un espace situé à côté de la billetterie du quai E1. Ce jour-là, l’employé du guichet a également perdu patience, puisque les enfants faisaient particulièrement beaucoup de bruit sous sa fenêtre. Il a perdu son calme à plusieurs reprises avec nous les volontaires, nous ordonnant d’aller n’importe où ailleurs. Certes, mais là était la seule zone d’ombre non occupée par des tentes…
Dans l’après-midi, j’avoue que je suis partie pour E2, car je ne supportais plus ce climat incandescent. Là-bas, j’ai distribué encore des pampers, stérilisé des biberons, donné du lait pour bébé, distribué du papier toilettes, etc. J’ai aussi partagé du temps avec des volontaires incroyables, toujours à la recherche de manières d’améliorer la vie des réfugiés.
Le jour précédent, un « core volunteer » que je connais avait posté sur Facebook qu’il avait besoin de fonds pour du matériel qui serait ensuite acheminé vers un nouveau camp, à Killini. J’ai répondu présente, et nous avions convenu de nous rencontrer à 11h le lendemain à E1 pour aller faire des achats ensemble. Toute la journée, il n’a cessé de reporter le rendez-vous car il avait une urgence avec une famille de réfugiés qui, disait-il, avait passé 5 jours dans un bus. Je l’ai finalement entrevu le soir à E2, où il a pu m’expliquer qu’il a passé la journée avec la police et des avocats pour essayer d’empêcher le déplacement de force de cette famille vers un des camps. Je n’ai malheureusement pas compris l’histoire en détail, car ce volontaire grec était assez stressé au moment de me la raconter. Tout ce que j’ai su était que l’affaire n’était pas terminée.
Ce matin, il m’apprend par Facebook qu’une autre personne a réussi à mettre les 14 membres de cette famille dans un train pour Athènes et qu’il a pu les récupérer à 4h du matin à la gare, pour ensuite les accueillir chez lui, où elles logent en ce moment de manière temporaire. Il m’apprend aussi qu’en plus d’avoir tenté de retenir ces personnes contre leur gré, la police a frappé les enfants. Pour l’instant, je ne sais rien de plus.


Courses pour les enfants de E1

J'ai passé mes dernières heures à Athènes acheter plein de matériel pour les enfants. Grâce à l’engagement de la volontaire américaine qui a chapeauté les ateliers avec les enfants, un container a été livré pour nous à E1. Il ne pourra certes pas accueillir la soixantaine de petits de E1 qui nous rendent visite (de plus, cet endroit est un fourneau), mais il nous permettra de stocker notre matériel et d’avoir un petit endroit propre et calme – une rareté ici. Le projet est éphémère, puisque les autorités grecques disent vouloir évacuer le Pirée dans les deux semaines à venir. Toutefois, il ne fait aucun doute lorsque nous les entendons rire, que chaque jour où nous réussissons à apporter de la couleur et un semblant de stabilité à ces enfants déscolarisés en vaut le coup.


Container transformé en mini-école à E1

Je suis infiniment heureuse d’être venue au Pirée, d’avoir pu soulager un peu ces réfugiés qui n’ont rien d’autre à ce stade que ce que les donneurs et les volontaires leur offrent. It felt good to be in the right place. De plus, je suis intimement convaincue que chaque personne que j’ai aidée sera plus encline à aider les autres à son tour, lorsqu’elle le pourra. Concernant mon expérience en tant que volontaire, il est vrai que les enjeux, la gravité de la situation ainsi que son caractère instable nous mènent facilement à ne plus pouvoir décrocher de cette dure réalité. On tombe aisément dans le piège de travailler trop longtemps, de ne pas se reposer assez ni s’alimenter correctement, ou encore de se laisser atteindre par le stress généré par la recherche incessante des dernières informations politiques ou du terrain. Mais pour le reste, je tiens à dire que mes tâches ici n’étaient ni difficiles en soi, ni extraordinaires. On peut même dire que les activités au Pirée ressemblent à celles d’un volontaire à un festival : distribution d’articles, nettoyage, coordination de personnel, gestion des foules, sécurité, information. Rien de sorcier. Nous en serions tous capables.
Grâce à votre générosité, nous avons réussi à récolter ensemble la somme inespérée de 2’500Chf. Un tout grand MERCI !!!! Sur ceux-ci, 200chf sont allés à l’achat de matériel pour les enfants du quai E1. Je suis aussi dans l’attente de savoir si la famille d’hier soir a besoin d’argent pour un hôtel un avocat ou des billets de bus pour se rendre dans un camp aux conditions acceptables. Quant au reste, la plus grande partie de cette somme contribuera au projet de mes collègues, qui font un crowdfunding pour acheter un camion en vue de pouvoir d’acheminer tous les dons entreposés à Athènes vers le reste des camps en Grèce. Je vous tiens au courant des opérations dès que tout cela est signé.
Arrivée à la fin de mon temps ici, je pars néanmoins le cœur très lourd. Plus les journées passaient, plus j’ai entendu des volontaires murmurer avec désolation que les frontières de l’Europe ne s’ouvriraient pas. Après avoir passé 9 jours au Pirée, aux côtés de personnes qui ont tout perdu, tout vendu pour fuir la guerre et sauver leur vie ainsi que celles de leurs proches… Après avoir observé leur détresse, qui n’est rien encore en comparaison avec celle qu'ils ont connu sur place, c'est-à-dire la peur d’être enlevé, envoyé au front ou encore torturé… Après avoir travaillé auprès de gens merveilleux venus de par le monde pour témoigner leur solidarité en offrant de leur temps, de leur argent et de leur amour en bouclier contre des politiques inhumaines… Après avoir rencontré ces Grecs qui sont présents sur le port depuis des mois, qui ne prennent même plus le temps d’avoir une vie à côté car ils se battent eux aussi contre l’injustice… Après tous les messages de solidarités et les dons reçus de votre part, mes chers amis… Après tout cela, je ne peux pas croire que l’Europe reste si cruellement insensible.
Qu’est-ce qui attend ces gens du Pirée au jour d’aujourd’hui ? Dans un premier temps, ils seront tous déplacés vers des camps officiels, tenus par les autorités grecques, où ils pourront déposer des demandes d’asile. Puis après ? Il semblerait que des plans d’accueil se mettent en place pour les Syriens et les Irakiens, mais ils ne couvrent de loin pas le nombre de réfugiés actuellement déplacés et sont fixés à 2018 ou 2020. Entre temps, l’Europe prévoit de laisser ces gens vivre dans des camps. Quant aux Afghans, leur pays n’étant plus reconnu comme « à risque » (je ne sais plus l’appellation exacte) depuis environ un mois, ces derniers seront rapatriés chez eux, de même que les ressortissants de nombreux autres pays "sûrs".

SUITE >>>
Paddington Bear s'exprime sur un mur d'Athènes
16 avril
L'ecole de E1 qui sera bientôt dupliquée à Idomeni
Cela fait une dizaine de jours que j’ai quitté Athènes et mon travail au Pirée. Tel est le luxe des volontaires de pouvoir partir et s’envoler par-dessus les frontières européennes, tandis que les migrants, de naissance moins heureuse, doivent continuer de vivre dans le dénuement et l’incertitude vis-à-vis de leur avenir.

La plupart des près de 4'000 personnes présentes au port d’Athènes vivent maintenant depuis plus de 6 semaines sans aucun confort. Ils ont été trempés dans leurs tentes lors des jours pluvieux et ont à présent commencé à souffrir des chaleurs accablantes du soleil grec qui transforme leurs tentes en four. Ils souffrent du manque d’hygiène par l’absence de douches et l’obligation d’utiliser des WC insalubres (imaginez envoyer votre enfant de 2 ans dans des toilettes de festival). Ils vivent dans l’absence totale d’intimité (je pense en particulier aux personnes dormant dans les hangars qui se trouvent en permanence sous les yeux d’un millier d’autres individus). N’ayant aucun lieu de stockage sûr, ils doivent gérer le stress de devoir surveiller en permanence les dernières affaires personnelles qu’ils possèdent. Cela comprend leur passeport, dont la disparition serait absolument dramatique. Par-dessus ces souffrances, ils vivent dans l’angoisse de découvrir qu’au bout de tout ce chemin se trouve le renvoi vers une terre occupée, où leur vie sera à nouveau mise en péril.

En plus de tout cela, une partie de moi se demande si ce n’est pas une douleur encore plus lourde, une déception plus profonde pour ces personnes ayant dû fuir leur patrie pour sauver leur vie, de découvrir que d’autres êtres humains comme eux n’en veulent pas chez eux. Se rendre compte que d’autres hommes et femmes sont capables de les rejeter vers un pays qui ne respecte pas les droits humains. Que d’autres pères et mères préfèrent voir les enfants des migrants privés d’avenir car ils vivent dans la hantise de perdre une once de leur confort… C’est cela qui doit faire le plus mal et qui s'écrase au creux de moi comme un rocher.

Nous ne devons jamais oublier à quel point nous sommes privilégiés. Nos droits humains sont respectés (à quelques exceptions près) et nos besoins économiques sont vastement couverts. Nous vivons dans tant d’abondance qu’un de nos premiers sujets de discussions est nos prochaines vacances. Je ne pense pas qu’il faille culpabiliser en raison de notre chance. Néanmoins, nous avons le devoir de rendre quelque chose à ceux qui ont moins reçu de la vie. Que ce soit un peu de notre temps, de notre argent ou se servir de notre liberté de parole et de notre droit de vote. Notre empathie et les gestes que nous faisons pour diminuer la souffrance de l’autre sont ce qui nous rend humain. Il faut que nous parvenions à tendre la main lorsque nous avons les moyens de le faire ! A méditer, le nom d’une association installée à Lesbos qui s’appelle très justement « I AM YOU ».

Je me sens extrêmement chanceuse d’avoir pu me rendre utile au Pirée. Cette expérience m’a confirmé que nous possédons toutes et tous le pouvoir de faire changer les choses et de combattre l’injustice. Nous pouvons tous avoir un impact et aucun geste n’est inutile. Concrètement, auprès d’une équipe de 4 personnes, ma présence a permis d’occuper et d’offrir des sourires et de l’affection à un cinquième d’enfants en plus. D’un autre point de vue, j’ai fait partie de la quarantaine de personnes qui faisaient fonctionner E1. Même si mon temps sur place était court, ce voyage a aussi permis de récolter la somme incroyable de 2’600Chf qui a servi à :

-  Acheter du matériel de jeu pour les enfants de E1
     - Poursuivre le projet de ma coéquipière Belle Sweeney en installant un nouveau container servant d’école au camp d’Idomeni
     - Participer à l’achat d’un camion qui permettra à mes amis volontaires de réacheminer les nombreux dons stockés à l’aéroport d’Athènes vers les camps disséminés partout en Grèce (voir lien plus bas)
     -   Permettre à une famille de 14 Syriens de sortir d’une situation désastreuse où ils sont restés 4 jours dans un bus et qui ont finalement pu reprendre le train pour Athènes et loger un mois chez un ami grec (voir vidéo plus bas)

MERCI pour votre générosité !!!

Ensemble nous pouvons faire beaucoup. C’est au hasard d’une conversation au mois de janvier que j’ai entendu parler de quelqu’un qui avait passé une semaine à Lesbos, et c’est suite à cela que je suis partie. Et de fil en aiguille, c'est devenu bien plus que seulement mon voyage. Ce journal de bord et les récits que j’ai pu partager ont permis de sensibiliser des centaines de personnes parmi mes contacts Facebook, mon entourage, mes collègues et mes élèves à la cause des réfugiés. Peut-être même que parmi ces personnes touchées, il y en a une qui partira aussi, et ainsi la chaîne se poursuivra. Finalement, chaque geste que nous faisons pour les migrants permet de soutenir des femmes, des hommes et des enfants, qui, comme nous, veulent simplement vivre dans la dignité. 

Si vous souhaitez des contacts pour des sites de dons ou des informations concernant le volontariat, n'hésitez pas à me contacter. En voici déjà quelques uns.

Volontariat Facebook

-Immigrant and Refugee Support Group Athens

-The School Box Project e1

-Gate E2 Port Volunteers

-Confused Volunteers

-Eidomeni Crew InterVolve International

Information sur la situation des camps en Grèce

https://refugeesineurope.net/2016/04/13/greek-mainland-sos-trip-report-giannitsa-eko-petrol-station-and-czech-team-warehouse/

https://docs.google.com/document/d/1My8Aj_Xg3VW46An73qOQbx9L153Q_4H8crzRw3ST8bg/edit

Pour l'ouverture des frontières

https://www.youtube.com/watch?v=RvOnXh3NN9w (excellente vidéo)
https://www.youtube.com/watch?v=7PeJ8eNH4A8
https://www.youtube.com/watch?v=r1mf7pdChLU (manifestation à laquelle j'ai pris part)
https://www.facebook.com/ib.mohameed/videos/1077365842343282/ (un rap chanté par un réfugié)
https://www.youtube.com/watch?v=HDzONyy-KOA

Dons

Lait pour bébés
http://nurtureprojectinternational.org/donations/25-to-save-a-life/

Reéfugiés à Samos
ttps://www.gofundme.com/samos4refugees