1er avril

J5, journée calme pour une volontaire à E1, même si mon manque de sommeil commence à peser. Malgré la coupure des 20min de métro, de l’ambiance backpacker de l’auberge de jeunesse dans laquelle je loge, du bon petit plat le soir, de la douche chaude et du lit douillet, cela reste difficile de se déconnecter de ce qui se passe au port le soir venu. Les questions affluent. Comment aider les réfugiés au mieux ? Faire vite ! Réfléchir de manière pratique et réaliste. Est-ce mieux d’aller « m’essayer » à différents postes pour acquérir une vue d’ensemble ou de me fidéliser à un seul endroit pour devenir plus efficace ? Mais à quoi bon tout ça en fin de compte ? Bien sûr que ma présence aide un peu pour améliorer le quotidien des réfugiés, mais l’Europe paraît aveugle à l’engagement des volontaires, des protestataires et des donneurs.


Amina, environ 3 ans. Entre gros câlins et grosses colères...déjà marquée par cette situation.

Plusieurs cars étaient présents au Pirée ce matin lors de mon arrivée. La petite Amina me court dans les bras. Je la soulève et la garde contre moi alors que je tente d’écouter ce qu’un homme grec explique à un groupe de réfugiés affichant des regards confus et inquiets. Il semblerait que ces bus aillent dans des camps officiels, là où les réfugiés peuvent s’enregistrer et espérer que leur dossier soit pris en considération pour entrer en Europe. Le problème est que ces camps, tenus par l’armée grecque, font parfois état de conditions déplorables, si bien que les réfugiés préfèrent revenir au Pirée. D’autres, en revanche, représentent une amélioration certaine avec des cabanons pour les familles, par exemple.
En recroisant Tamman, le jeune Syrien, je lui demande pourquoi lui et sa famille ne sont pas dans le bus. Il me répond qu’ils l’ont déjà pris une fois et se sont retrouvés dans un camp qui paraissait effrayant « au milieu d’une forêt ». Sa famille et lui ont refusé de descendre mais ont dû payer le billet de retour à Athènes. Comme tant d’autres, je l’ai vu passer la journée la mine grise, à faire la file auprès des containers des ONGs pour tenter d’avoir des informations ou à discuter sombrement avec ses compatriotes. 19 ans, quelle jeunesse….
J’ai aussi fait la connaissance d’un homme Syrien qui porte son bébé dans les bras. Elle a 9 mois elle est née quelques semaines avant leur fuite et n’a connu que cette vie. Chez lui, me disait-il dépité, il avait une jolie maison et une bonne situation.


Papa syrien avec son enfant âgé de 9 mois
L'oeuvre de l'artiste en herbe
Avec les enfants, nous avons inauguré la peinture sur visage, ce qui leur a immensément plu ! Je me suis pourtant fait avoir à mon propre jeu lorsqu’un jeune artiste a voulu essayer ses talents sur moi. Tous les jours, des volontaires nouveaux arrivent pour aider. Nous avons eu la chance d’être nombreux aujourd’hui : une Américaine, une Anglaise, un Espagnol, un Mexicain, une Allemande et un Grec. Chaque jour, nous faisons face aux mêmes défis : trouver une planche qui servira de table pour dessiner, trouver des cageots (de hauteur égale) pour la poser dessus, trouver des couvertures pour faire asseoir les enfants, retrouver notre matériel de jeu en espérant qu’il soit toujours où nous l’avons caché dans les stocks…



S’agissant des volontaires, ils viennent vraiment de partout et cela me redonne tant de courage. J’ai même rencontré deux familles biennoises venues pour 2 semaines avec leurs enfants âgés entre 16 et 25 ans et qui travaillent à E2 à la distribution de nourriture. Il y a aussi des touristes de passage qui passent par les camps : une famille d’Allemands ou un Mexicain en vacances qui décident d’aider pour un jour. Les gens se sentent concernés, et comment ne pas partager cette émotion lorsque l’on est face à la réalité de personnes qui n’ont plus rien que leur passeport (qu’ils prennent même aux WC) ?
A un moment donné ce matin, un jeune d’environ 20 ans me demande avec un accent américain si je sais où il peut trouver de l’eau. Il a l’air « occidentalisé », mais en même temps sa peau est mate et ses cheveux foncés. Je suis très empruntée, car je ne sais pas si c’est un réfugié ou un volontaire, et je me rends compte que la réponse que je vais lui donner dépend de cela. Il se trouve que c’est un réfugié. Et d’un coup, le mot « réfugié » sur les lèvres de ce garçon dont je me sentais proche, probablement de par le partage d’une culture télévisuelle et universitaire, le renvoie dans une catégorie à peine concevable, même d’où je suis. Celle qui n’a pas accès aux mêmes endroits du port que moi, qui devra faire la file pour obtenir de l’eau, qui dort dehors, ne peut pas se doucher, ne connaît aucune intimité depuis des mois, ne peut se permettre aucun projet d’avenir, etc.



 Vidéo de Tammam sur la BBC


Souvenez-vous que je vous ai parlé de ma rencontre d’hier avec deux jeunes gens? Il s’agit de Suhayib d’Irak et de Tammam de Syrie (cliquer sur l'image pour voir sa vidéo à la BBC). Vous les retrouverez, par coïncidence, dans l’article de Fabien Perrier, journaliste au Temps, qui clôturera ce post (cliquer sur l'image pour trouver le lien).





Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire