29 mars
Aujourd'hui j'ai clairement avancé d'un
cran dans ma compréhension et mon empathie avec la situation des réfugiés (en
réalité, ce sont des demandeurs d’asile, mais tout le monde parle de réfugiés.
Il y a aussi quelques migrants économiques ici, venant du Maroc par exemple,
mais ils sont très peu nombreux).
Ce matin, je me suis rendue dans un
autre débarcadère voisin, de réputation beaucoup plus organisé que les autres. Effectivement,
la trentaine de nouveaux volontaires que nous étions avons reçu un briefing
clair d'une durée de 45min. Le ton était directif, combiné avec un sentiment
d'urgence qui traduisait la gravité de la situation. Les indications que nous
avons reçues couvraient l'importance de respecter le protocole mis en place par
les volontaires long terme, une présentation des différentes cohortes de
travail : Distribution de nourriture, Distribution de tout autre article
dont vêtements et articles d'hygiène personnelle, Protection - j'ai appris
qu'il y a des tentatives d’enlèvements de femmes ou d’enfants sous prétexte de
leur promettre rien de plus qu'une douche, Information légale - couvert par des
personnes expertisées, Jeux avec les enfants, Hygiène des bébés et "Wash"
– ou, autrement dit, hygiène du camp et poubelles. La jeune Greco-Américaine de
23 ans qui tenait le discours a aussi insisté sur le danger que cela représente
de distribuer des donations directement à partir d'une voiture; les gens du
camp n'ont rien et se rueront dessus, ce qui crée des conflits qui escaladent rapidement.
Lieux de stockage des donations et redistributions: nourriture, vêtements, articles de première nécessité, etc. |
Je choisis de travailler
dans la distribution de nourriture. Dès que je dois mettre la main sur la
personne responsable et comprendre où je peux me rendre utile, je me rends
compte que ce beau discours n'a pas couvert le quart des questions que j'avais
et que chacun doit se débrouiller par lui-même pour trouver sa place dans cette
fourmilière de volontaires. A une tout autre échelle, cette situation reflète
un peu celle des réfugiés dans le camp qui souffrent d'une absence totale
d'information centralisée et qui doivent eux-mêmes se débrouiller pour
comprendre comment se passe la vie du camp, ce qui les attend, comme évoluera
leur avenir, etc.
La distribution du repas de
midi se fait à 2 endroits opposés du camp, car depuis peu les Afghans et les
Syriens ont commencé à se disputer. On envisage même de séparer le camp en
plusieurs zones selon la nationalité de chacun, paraît-il. Mon rôle dans cette
tâche a consisté principalement à plier en 4 des galettes de pain pour les
servir comme accompagnement au repas dans la file afghane. Cela a duré une
heure et demi, où les volontaires ont distribué plus de 2'000 repas sur ce site
(E2).
Les cuisines du débarcadère
où j'étais sont pourtant soulagées, car depuis 10 jours, c'est l'armée grecque
qui livre 8'000 repas par jour pour les 5'000 réfugiés présents au port. Ainsi,
mes compagnons ne préparent "plus que" 2'000 repas et le
petit-déjeuner. Je suis néanmoins obligée de constater que ce repas en question
était maigre: une petite assiette d'une forme de risotto accompagné d'une
galette, une orange et de l'eau. Cela ne laisse pas de doute que les hommes
doivent perdre du poids - j'en perdrais moi aussi !
Dans cette file de personnes
qui attendent d’être nourris, j’ai pu constater les mines dépéries de certains.
D'autres baissaient le regard de honte, n'osant regarder les volontaires en
face lorsqu'on leur distribuait de la nourriture. D'autres encore essayaient de
faire la file deux fois, mais cela est surveillé par une responsable devenue
physionomiste qui est très stricte à ce sujet: il n'y a tout simplement pas
assez de nourriture pour en donner deux fois et l'égalité de traitement envers
tous est une valeur prioritaire.
J'ai
terminé cette journée épuisée d'essayer de travailler dans ce chaos et de me
sentir impuissante. Je me rends compte aussi que si je ressens cela après
quelques heures sur place, c'est bien le quotidien de ces réfugiés qui doivent
se résigner à vivre dans la dépendance complète, en espérant que nos ressources
pour les aider ne s'épuisent pas.
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