1er novembre

De retour en Suisse, je prends le temps d’écrire encore quelques réflexions, de tisser des liens. Ce n’est pas évident de lâcher un peu prise lorsque cela fait plusieurs semaines qu’on s’informe, se prépare et qu’on investit beaucoup d’énergie dans la propagation d’information, la récolte de dons, que des liens se sont tissés ou renforcés avec les réfugiés, etc. J’ai quitté la Grèce par avion, sans aucune difficulté, tandis que les réfugiés victimes à la fois de la politique mondiale et de l’indifférence de l’Europe restent parkés dans le no man’s land du camp. La différence entre eux et moi ? J’ai simplement la chance d’avoir le bon passeport. La situation est affreusement injuste, mais elle n’est pas impossible à changer. 

La souffrance humaine ne se rencontre pas de manière frontale dans le camp. Les besoins vitaux tels que la sécurité, la nourriture, un toit et la santé sont après tout couverts. Il faut toutefois garder en tête qu’Eleonas est un camp « 5 étoiles », comme les volontaires en charge me l’ont souvent rappelé, et qu’il n’est pas représentatif des camps grecs – encore moins des camps situés à l’extérieur de l’Europe. Ce n’est qu’en prenant le temps de se poser quelques questions que l’on se rend compte des épreuves extrêmes que vivent les résidents. Ils sont 2'500 dans ce camp, 8 à 12 par porte à cabine, ce qui représente généralement 2 familles ou alors des gens seuls. Cela signifie qu’il n’y a presque aucun moyen d’avoir de l’intimité nulle part, ni même d’être entre soi. Du côté des bons passeports, nous avons la chance de décider de ce que nous mangeons, comment nous nous habillons, quelles activités nous allons faire, vers quel emploi nous voulons nous diriger, comment nous allons nous ressourcer le weekend. Les résidents d’Eleonas, eux, ne peuvent rien choisir de tout cela et ne sont qu’en position de dire merci pour ce qu’on leur accorde. Devant les injustices, je pense en particulier au traitement administratif de leur dossier, ils n’ont aucun moyen de se défendre. Comme mon ami Suhaib, qui pense que son dossier a été mis en bas de la pile car il a menacé de faire une grève de la faim. Son unique moyen d’action s’est peut-être retourné contre lui. 

Les migrants d’Eleonas – dont la vaste majorité sont des réfugiés - arrivent en détresse et portent généralement un passé de violence. Ils sont passés par des routes dangereuses, ont été brutalisés par la guerre, puis se sont retrouvés à la merci des passeurs, des autorités corrompues, des forces de la Méditerranée, etc. Comme Romain me le faisait remarquer, nous pensons souvent aux bateaux gonflables invraisemblablement chargés lorsque nous évoquons la crise migratoire – ou comme l’anglais le dit plus justement, « the refugee crisis », puisque c’est bien le nombre de réfugiés qui a explosé et non de migrants dits « économiques ». Mais la mer n’est pas un obstacle par-dessus lequel on peut sauter pour se retrouver en sécurité, et le combat des gens qui ont fui leur terre n’est de loin pas terminé après ce passage. Cette étape ne marque que le début d’une longue attente dans les camps, des combats administratifs, de l’angoisse de ne pas savoir dans quel pays européen on sera relocalisé. Pire encore, et si tout cela n’avait servi à rien ? Comment s’imaginer attendre chaque jour durant des mois et des mois, tout en sachant que les portes de l’Europe ne s’ouvriront peut-être jamais.

Si nous ne possédons pas le pouvoir de changer des destins, nous pouvons adoucir un peu la route de ceux qui endurent de telles souffrances. Se rendre sur place dans les camps en Grèce, en Italie, en Turquie ou ailleurs donne aux réfugiés un message d’espoir disant qu’il y a des gens qui ne les oublient pas. C’est une personne de plus pour apporter de la vie à des camps qui seraient certainement autrement plus moroses sans la présence des volontaires. Au final, faire du volontariat durant une semaine ou deux ne demande que très peu d’efforts. Ce séjour m’a coûté 700chf en tout (500chf de plus que ce que j’aurais dépensé en Suisse durant la même période), et m’a aussi permis de passer de supers moments avec mes amis en ayant des échanges riches. Bientôt, la nouvelle bibliothèque et le centre de documentation d’Eleonas sera à la recherche d’enseignants en tous genres. Pourquoi pas passer une semaine à Athènes en faisant du tourisme le matin et du volontariat l’après-midi, comme nous avons vu faire ?  L’idée est lancée ;-)

Je ne reviens pas abattue de ce voyage, mais plutôt émue, triste aussi, révoltée, enrichie et « empowered ». Nos petites actions peuvent avoir de grandes conséquences. Vous êtes aujourd’hui plus de 1’500 à avoir cliqué sur le blog et vous en parlerez sans doute autour de vous, si bien que cela drainera probablement de nouveaux volontaires et sensibilisera un grand nombre de personnes. Je suis partie seule en avril, avec 2’500chf. Cette fois, nous sommes retournés à 5 en ayant levé plus du double entre nous tous, ce qui permettra de mettre sur pied une bibliothèque dans le camp d’Eleonas et financer d'autres projets tels qu'un jardin potager, etc. Pour cela, un immense MERCI du fond du cœur :-D

Aujourd’hui à l’école, j’ai revu la classe d’accueil à laquelle j’enseigne. J’avais évoqué avec eux mon voyage avant les vacances, puisque je leur avais proposé de m’enseigner un peu d’arabe et de farsi. Ils m’ont immédiatement questionnée sur mon voyage et m’ont demandé d’en parler. C’était un moment émouvant d’échanger autour de ce que j’ai vu et d’entendre les élèves parler de leur propre vécu des camps et de leur entrée en Europe. Autant leur confiance que leurs remerciements m’ont énormément touchée.

Effectivement, la crise migratoire ne concerne pas que la Grèce, et nous avons la possibilité d’aider aussi en restant en Suisse. Les moyens sont nombreux pour exprimer votre solidarité. Une façon très concrète de soutenir les demandeurs d’asile aujourd’hui est de s’engager auprès du Collectif R à Lausanne, qui protège des personnes déboutées et menacées d’expulsion, en particulier à cause des accords de Dublin. Une autre est de parrainer un mineur non-accompagné. Leur nombre a récemment explosé, puisqu’ils sont 2'700 à être arrivés dans le pays en 2015. Le projet Action-Parrainages tout récemment mis sur pied propose à des couples ou familles de s’engager à faire deux sorties ou activités par mois avec le jeune parrainé.

Je vous remercie très sincèrement pour votre lecture. En attendant le prochain séjour de volontariat, je me réjouis de me rendre demain avec Romain au foyer du Chasseron pour débuter notre parrainage et partager une nouvelle aventure humaine avec un jeune venu d’Afghanistan.

Collectif R : http://www.desobeissons.ch/

Action-Parrainages : http://www.eglisemigrationvd.com/wpweb/?page_id=906

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire