De retour en Suisse,
je prends le temps d’écrire encore quelques réflexions, de tisser des liens. Ce
n’est pas évident de lâcher un peu prise lorsque cela fait plusieurs semaines
qu’on s’informe, se prépare et qu’on investit beaucoup d’énergie dans la
propagation d’information, la récolte de dons, que des liens se sont tissés ou
renforcés avec les réfugiés, etc. J’ai quitté la Grèce par avion, sans aucune
difficulté, tandis que les réfugiés victimes à la fois de la politique mondiale
et de l’indifférence de l’Europe restent parkés dans le no man’s land du camp.
La différence entre eux et moi ? J’ai simplement la chance d’avoir le bon
passeport. La situation est affreusement injuste, mais elle n’est pas
impossible à changer.
La souffrance humaine
ne se rencontre pas de manière frontale dans le camp. Les besoins vitaux tels
que la sécurité, la nourriture, un toit et la santé sont après tout couverts.
Il faut toutefois garder en tête qu’Eleonas est un camp « 5
étoiles », comme les volontaires en charge me l’ont souvent rappelé, et
qu’il n’est pas représentatif des camps grecs – encore moins des camps situés à
l’extérieur de l’Europe. Ce n’est qu’en prenant le temps de se poser quelques
questions que l’on se rend compte des épreuves extrêmes que vivent les résidents.
Ils sont 2'500 dans ce camp, 8 à 12 par porte à cabine, ce qui représente
généralement 2 familles ou alors des gens seuls. Cela signifie qu’il n’y a
presque aucun moyen d’avoir de l’intimité nulle part, ni même d’être entre soi. Du côté des bons passeports, nous avons la chance de décider de ce que nous mangeons, comment nous nous
habillons, quelles activités nous allons faire, vers quel emploi nous voulons
nous diriger, comment nous allons nous ressourcer le weekend. Les résidents
d’Eleonas, eux, ne peuvent rien choisir de tout cela et ne sont qu’en position
de dire merci pour ce qu’on leur accorde. Devant les injustices, je pense en
particulier au traitement administratif de leur dossier, ils n’ont aucun moyen
de se défendre. Comme mon ami Suhaib, qui pense que son dossier a été mis en
bas de la pile car il a menacé de faire une grève de la faim. Son unique moyen
d’action s’est peut-être retourné contre lui.
Les migrants
d’Eleonas – dont la vaste majorité sont des réfugiés - arrivent en détresse et
portent généralement un passé de violence. Ils sont passés par des routes
dangereuses, ont été brutalisés par la guerre, puis se sont retrouvés à la
merci des passeurs, des autorités corrompues, des forces de la Méditerranée,
etc. Comme Romain me le faisait remarquer, nous pensons souvent aux
bateaux gonflables invraisemblablement chargés lorsque nous évoquons la crise
migratoire – ou comme l’anglais le dit plus justement, « the refugee
crisis », puisque c’est bien le nombre de réfugiés qui a explosé et non de
migrants dits « économiques ». Mais la mer n’est pas un obstacle par-dessus
lequel on peut sauter pour se retrouver en sécurité, et le combat des gens qui
ont fui leur terre n’est de loin pas terminé après ce passage. Cette étape ne marque que le début d’une longue attente dans les camps, des combats
administratifs, de l’angoisse de ne pas savoir dans quel pays européen on sera
relocalisé. Pire encore, et si tout cela n’avait servi à rien ? Comment s’imaginer
attendre chaque jour durant des mois et des mois, tout en sachant que les
portes de l’Europe ne s’ouvriront peut-être jamais.
Si nous ne possédons
pas le pouvoir de changer des destins, nous pouvons adoucir un peu la route de
ceux qui endurent de telles souffrances. Se rendre sur place dans les camps en
Grèce, en Italie, en Turquie ou ailleurs donne aux réfugiés un message d’espoir
disant qu’il y a des gens qui ne les oublient pas. C’est une personne de plus
pour apporter de la vie à des camps qui seraient certainement autrement plus moroses
sans la présence des volontaires. Au final, faire du volontariat durant une
semaine ou deux ne demande que très peu d’efforts. Ce séjour m’a coûté 700chf
en tout (500chf de plus que ce que j’aurais dépensé en Suisse durant la même
période), et m’a aussi permis de passer de supers moments avec mes amis en ayant des échanges riches.
Bientôt, la nouvelle bibliothèque et le centre de documentation d’Eleonas sera
à la recherche d’enseignants en tous genres. Pourquoi pas passer une semaine à
Athènes en faisant du tourisme le matin et du volontariat l’après-midi, comme
nous avons vu faire ? L’idée est
lancée ;-)
Je ne reviens pas abattue
de ce voyage, mais plutôt émue, triste aussi, révoltée, enrichie et « empowered ».
Nos petites actions peuvent avoir de grandes conséquences. Vous êtes aujourd’hui
plus de 1’500 à avoir cliqué sur le blog et vous en parlerez sans doute autour
de vous, si bien que cela drainera probablement de nouveaux volontaires et
sensibilisera un grand nombre de personnes. Je suis partie seule en avril, avec
2’500chf. Cette fois, nous sommes retournés à 5 en ayant levé plus du double entre nous tous, ce qui permettra de mettre sur pied une bibliothèque dans le camp d’Eleonas et financer d'autres projets tels qu'un jardin potager, etc.
Pour cela, un immense MERCI du fond du cœur :-D
Aujourd’hui à l’école,
j’ai revu la classe d’accueil à laquelle j’enseigne. J’avais évoqué avec eux
mon voyage avant les vacances, puisque je leur avais proposé de m’enseigner un
peu d’arabe et de farsi. Ils m’ont immédiatement questionnée sur mon voyage et m’ont
demandé d’en parler. C’était un moment émouvant d’échanger autour de ce que j’ai
vu et d’entendre les élèves parler de leur propre vécu des camps et de leur entrée
en Europe. Autant leur confiance que leurs remerciements m’ont énormément touchée.
Effectivement, la
crise migratoire ne concerne pas que la Grèce, et nous avons la possibilité d’aider
aussi en restant en Suisse. Les moyens sont nombreux pour exprimer votre
solidarité. Une façon très concrète de soutenir les demandeurs d’asile aujourd’hui
est de s’engager auprès du Collectif R à Lausanne, qui protège des personnes
déboutées et menacées d’expulsion, en particulier à cause des accords de
Dublin. Une autre est de parrainer un mineur non-accompagné. Leur nombre a
récemment explosé, puisqu’ils sont 2'700 à être arrivés dans le pays en 2015. Le projet
Action-Parrainages tout récemment mis sur pied propose à des couples ou
familles de s’engager à faire deux sorties ou activités par mois
avec le jeune parrainé.
Je vous remercie très
sincèrement pour votre lecture. En attendant le prochain séjour de volontariat,
je me réjouis de me rendre demain avec Romain au foyer du Chasseron pour
débuter notre parrainage et partager une nouvelle aventure humaine avec un
jeune venu d’Afghanistan.
Collectif R : http://www.desobeissons.ch/
Action-Parrainages : http://www.eglisemigrationvd.com/wpweb/?page_id=906
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