Lors de la
journée suivante, j’ai à nouveau participé au triage des vêtements. C’est
vraiment le poste le moins facile. Accepter certaines attitudes des résidents
qui nous paraissent inadaptées est une chose, mais devoir dire à un enfant
qu’on n’a pas de veste ni chaussures chaudes pour lui alors que moi-même je
porte ces articles est tout autre chose. Je sais qu’il ne mourra pas de froid,
car les migrants ont d’autres ressources telles que d’autres points de
distribution de vêtements dans la ville, ou alors la possibilité d’acheter des
vêtements de seconde main chez Caritas. Néanmoins, cela fait vraiment mal au
cœur lorsqu’en allant chercher dans la boîte à chaussure en taille 36, on n’ose
pas proposer les 2 paires qui sont là tant elles sont en mauvais état. On se
rend compte à quel point les migrants peuvent se sentir humiliés, et que leur
sécurité (parfois temporaire) s’obtient parfois au prix de leur dignité.
L'autre espace communautaire où a lieu la zumba |
J’ai
poursuivi avec un atelier de tressage de fils de couleur dans les cheveux, que
mon amie Emilie m’a appris à faire, avant de faire « garde » pour
l’atelier de zumba. En effet, ce cours ouvert aux femmes et aux grandes filles
a lieu dans une grande tente. Deux cloisons ont été posées pour diviser ce
grand espace, ainsi l’atelier a lieu dans un espace clos, dont le but est de
créer une zone protégée où les femmes peuvent danser sans le regard des autres
et aussi enlever leur voile, qui leur tient parfois trop chaud. Malheureusement,
cet espace est presque impossible à maintenir fermé, puisqu’il beaucoup trop
facile pour les enfants de se faufiler sous les bâches de la tente ou de
grimper par-dessus les cloisons. Ils prennent naturellement un malin plaisir à
déjouer l’attention des deux « gardes », si bien que l’atelier est
continuellement dérangé par des enfants qui rentrent et sortent en courant de
leur espace.
Le soir,
nous sommes invités à manger dans l’appartement de Mahmoud, là où vit aussi
Suhaib. Nous achetons un plateau de baklavas pour le dessert qui coûte 17
euros, la même somme que Mahmoud reçoit pour se nourrir pendant une semaine.
Les deux autres colocataires irakiens sont présents, ainsi qu’une jeune
australienne qui enseigne l’anglais au centre communautaire où Suhaib donne des
cours. Il y a une super ambiance d’échange et d’ouverture ce soir-là, et Suhaib
est aux anges. Il veut absolument me montrer sur son ordinateur des photos
qu’il avait lors de ma semaine au Pirée. Cela me fait autant chaud au cœur que
lui de voir les photos du chocolat que je lui avais offert, de nous deux
entourés d’enfants ou alors de moi les bras ouverts pour lui faire un câlin
virtuel au moment de mon départ, puisqu’il se refusait encore de toucher des
femmes à l’époque. Nous rions de différences culturelles, nous nous intéressons
à sa manière de vivre la religion et nous parlons aussi de droits de passage,
des histoires de migration de chacun. L’un des irakiens part en Irlande le
lendemain, ce qui fait l’envie des autres. Cependant, nous sommes étonnés de
voir qu’il n’a plus du tout envie d’y aller et qu’il préfèrerait rentrer en
Irak. Comme la barrière de langues est grande, nous ne parvenons pas à
comprendre pourquoi « Ireland no good ». Le dernier colocataire a
vécu 4 ans à Milan, puis 7 ans en Suède, où il a travaillé. Il est ensuite
rentré en Irak pour enterrer son père mais n’a pas pu rentrer dans l’UE depuis.
C’est ainsi qu’à présent il doit recommencer tout le processus de demande
d’asile.
Nous
mangeons de délicieuses pommes-de-terre grillées au four avec des tomates et
des oignons, accompagné de ris au petits pois, de pain et de coca. Nos hôtes
partagent ensuite avec nous une shisha qui a le bon goût de la chaleur humaine
avant d’échanger des au revoirs un peu émus. Une fois de plus, c’est moi qui
pars tandis que lui est toujours prisonnier des conséquences de la politique
mondiale.
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