Eleonas

23 octobre

Photo de Project Elea

En rentrant hier soir, j’avais l’impression d’avoir passé la journée sur un grand huit émotionnel. Après notre première journée de volontariat, je me sentais riche d’humanité et remplie de faire quelque chose ayant pour moi tant de sens.
 
Notre équipe ! Rebecca, Emilie, Alice, Romain et moi.
Nous sommes arrivés à 5 à Athènes hier soir avec de précieux dons et 4 valises remplies de vêtements d’hiver, de matériel de bricolage, de jeux et d’équipements de sport. Après une visite matinale de l’Acropole, nous avions rendez-vous à 11h45 au camp d’Eleonas, situé à quelques arrêts de métro de notre appartement, dans la zone industrielle de la ville. En arrivant à la station de métro, nous avons étés accueillis par une pluie diluvienne. Abrités sous un toit, nous avons pourtant croisé les anarchistes athéniens qui resteraient là 3h. En effet, je les avais déjà vus au mois d'avril, puisqu'ils protestent presque toutes les semaines pour défendre les droits des réfugiés. Ce jour-là, un des participants vient nous expliquer qu’ils ont organisé une contre-manifestation contre celle du parti « néo-nazi » d’extrême droite appelé Golden Dawn.

Les manifestants du parti anarchiste grec

Le chemin pour aller jusqu’au camp passait par une route désertée dans une zone laissée à l’abandon. Là-bas, le manque d’évacuation était si grave qu'il y avait souvent plus de 10cm d’eau sur le chemin. L’entrée du camp était reconnaissable au fait que des enfants jouaient autour du portail, devant lequel s’était rempli un lac. Plusieurs adultes les entouraient aussi pour rire du fait que chaque passage de véhicule créait une grande vague que les enfants postés autour jouaient à éviter.

Les véhicules qui passent devant l'entrée du camp en créant des vagues qui amusent les enfants

Depuis l'entrée du camp
Vue du portail d'entrée depuis l'intérieur du camp
En passant le portail, nous apercevons les portes-à-cabines qui servent de lieu d’habitation aux résidents, comme les appelle notre association. A gauche, une poignée de migrants s’abritent sous une tenture allant jusqu’à un autre porte-à-cabines appartenant au ministère grec. Les employés nous informent que nous sommes bien au lieu de rendez-vous de l’association Project Elea, mais qu’ils ne se rencontrent qu’à 14h. Complètement trempés, nous nous asseyons en attendant aux tables en bois qui sont posés sous la tenture. La pluie continue de s’abattre sur le camp et l’une d’entre nous commence à avoir vraiment froid, si bien qu’elle tremble. Peu de minutes après, nous recevons une couverture d’un homme qui s’est lui-même trempé pour nous l'apporter depuis chez lui. S’en suivent deux autres qui font de même pour nous apporter du thé chaud, en nous disant « Vous faites quelque chose pour nous, nous voulons faire quelque chose pour vous ».
  
En attendant le meeting
Arrivent enfin des volontaires. Nous sommes une douzaine lorsque le meeting commence. Katie, une jeune anglaise, nous explique le fonctionnement du camp. Eleonas se divise en 3 secteurs. Il y a 1500 résidents dans les secteurs 1 et 2, qui sont gérés par le ministère de la migration et auxquels nous avons accès, puis un 3e secteur de 700 personnes, géré par l’armée et dans lequel nous ne pouvons pas rentrer.  (Nous ne savons pas encore pourquoi l’armée ne gère qu’une partie du camp). 50 nationalités sont représentées (parfois il n’y a qu’un homme seul pour représenter un pays), dont surtout des Afghans, puis des Syriens et des Pakistanais. C’est le camp le plus ancien de la Grèce continentale, fondé en août 2015, puis il est également connu pour être le « meilleur ». Effectivement, c'est le plus confortable et il présentant le plus d’activités pour les résidents, grâce au Project Elea notamment. Les résidents sont logés au nombre de 12 maximum dans des portes à cabines d’environ 35m2 qui ont chacun une salle de bains avec toilette et douche, climatisation et chauffage. UNHCR a aussi son porte à cabine sur place, ainsi qu’une autre organisation dont je dois vérifier le nom et qui s’occupe entres autres de donner un peu d’argent à chaque famille (j’ai entendu murmurer 180 euros mensuels par famille). Depuis 2 semaines, les enfants ont fait leur rentrée scolaire. Ils sont accueillis dans des écoles grecques, où de enseignants grecs leur donnent des cours de maths, grec, anglais et sport tous les jours de 14h à 18h. Nous ne sommes heureusement pas ici en situation d’urgence, comme j’ai pu connaître au Pirée, où il n’y avait pas encore de douches et je n’osais pas aller aux toilettes car il y en avait environ une par centaine de personnes.
 
Portes à cabines résidentielles pouvant loger jusqu'à 12 personnes





Les activités de l’organisation consistent surtout à distribuer la nourriture fournie par le ministère, distribuer des vêtements et animer des activités éducatives pour les enfants et adultes, ainsi que des ateliers créatifs et du sport. La volonté de Project Elea est d’impliquer au maximum les résidents pour que ces projets leur appartiennent, mais ils sont confrontés au fait que personne ne souhaite vraiment s’investir, puisque les migrants ont tous en tête de partir au plus vite. C’est donc très difficile de construire quelque chose ensemble.
Tableau d'inscription aux activités pour les volontaires

Lors du meeting, les volontaires s’inscrivent pour des activités. Je lève la main pour participer à l’atelier avec les enfants, puis la distribution du repas du soir. Je suis alors la responsable de l’activité, qui m’emmène dans la grande tente ouverte, lieu d’une grande partie des activités. Nous étalons des tapis sales sur les quelques mètres carrés qui n’ont pas été trempés par la pluie et nous mettons de la musique pour attirer les enfants. C’est une journée particulière, non seulement parce que c’est samedi et que le weekend est moins structuré, mais aussi à cause du fait que le camp est en grande partie inondé – les portes à cabines sont heureusement surélevés. On nous propose aux 4 volontaires présents de faire dessiner la quinzaine d’enfants, ou alors de leur distribuer des stickers ou de danser sur la musique que nous allons mettre. Les stickers fonctionnent très mal, car les enfants se disputent et se plaignent pour en avoir plus. Mais je suis rassurée de voir que globalement, les enfants sont clairement plus posés, moins agités et moins agressifs que ce que j’ai pu constater six moins avant au Pirée. Et ils parlent tous un peu d’anglais. Les tous petits comprennent déjà « what’s your name ? » et les grands savent dire pas mal de choses. Cela nous facilite tellement la vie !! La musique est gérée par un volontaire qui branche son téléphone à des hauts parleurs, faisant résonner de la musique latine qui me paraît augmenter en volume au fil de l’activité. J’ai vite l’impression d’être dans une discothèque, et visiblement les enfants aussi. Ils finissent par s’agiter énormément, et des pleurs mettent fin à l’animation musicale.

Nous sommes en train de balayer les stickers étalés partout lorsque je vois apparaître Zahra* (nom d’emprunt), une petite fille de 12 ans, que je reconnais du Pirée ! Elle se souvient très bien de moi et je suis très émue de la retrouver. C’est une fille si intelligente, jolie et sociable qui m’apprenait déjà des mots de farsi, et qui parlent maintenant vraiment bien l’anglais. Une perle en fait. Mais elle vient d’Afghanistan, et n’a pas droit à l’asile dans les conditions actuelles – puisque l’UE a déclaré il y a quelques mois que l’Afghanistan était un pays sûr, après tout. Au cours des neuf premiers mois de 2016, 8.397 civils ont pourtant été comptabilisés comme victimes de combats, selon l’ONU, dont toujours plus d’enfants. Comme tous les autres enfants du camp, elle a dû louper au moins un an d’école, et probablement bien plus. Mais c’est un souci de 2e catégorie, lorsque ce qui est en jeu est de rester en vie.

Vers 17h, j’ai aidé à préparer de l’henné pour l’atelier destiné aux femmes et aux enfants. Ensuite, mes amis et moi nous sommes attelés à la distribution de nourriture avec l’aide de deux volontaires espagnols. Les résidents font la file devant les deux fenêtres du porte à cabine concerné. Nous sommes deux équipes de 3 volontaires répartis aux deux fenêtres devant chacune desquelles il y a une file d’hommes et une file de femmes, que nous servons en alternance. Comme c’est le weekend, il y a de la viande (au moins une fois par semaine). Pour cette raison, cela risque d’être compliqué. En effet, en général la nourriture n’est jamais entièrement distribuée, car elle n’est pas très bonne – il faut imaginer des barquettes de vols cheap, c’est le même pain asséché qu’ils reçoivent pour le petit déjeuner. Mais lorsqu’il y a de la viande, tout part en général.

Pour chaque porte à cabine, un résident se présente avec un cageot ou un sceau, dans lequel nous mettrons la nourriture, et une feuille A4 désagrégée aux trois quarts avec un numéro dessus. Nous cochons alors sur notre liste que ces personnes ont bien reçu leur repas. Pour les diabétiques ou régimes spéciaux, il faut également un justificatif pour obtenir un régime spécial (pas plus appétissant). Puis, lorsqu’il y a du lait, comme ce soir-là, il est distribué aux familles ayant de jeunes enfants et qui doivent aussi le justifier. On nous indique les éléments à distribuer : une barquette par personne (contenant de la « viande » et des pommes-de-terre), un cornet de pain pita p.p., une pomme et un oignon par famille (on en distribue lorsqu’on en a), un litre de lait aux familles en droit, et pour le matin  - car il n’y a que deux distributions de nourriture par jour, un pain sous vide p.p. et un berlingot 2dl de jus d’orange pour deux. Dès le début de la distribution, nous rencontrons des problèmes lorsque le mot sort qu’il y a du lait. Tout le monde en veut, même ceux qui n’ont pas de justificatifs. Nous leur répétons calmement que ce n’est pas possible, parfois plusieurs fois sont nécessaires jusqu’à ce qu’ils s’en aillent. Hormis cela, tout se passe assez bien, jusqu’à ce que la responsable nous dit qu’à voir les files, il n’y aura pas assez de barquettes pour tous et il faut diminuer les rations à une barquette pour deux et un jus par famille. Lorsqu’ils s’en aperçoivent, les gens commencent à compter leurs barquettes et s’en plaindre et nous devons appliquer le même comportement que pour le lait. Aux deux tiers de la distribution, on nous demande combien de boxes de 100 barquettes il nous reste. Je réponds et la responsable décide que l’on peut remonter à 80% de barquettes, donc 8 pour une famille de 10. La distribution est presque terminée lorsque je découvre que j’ai oublié de comptabiliser un boxe... Même si nous repassons à une barquette par personne, il nous reste 57 barquettes. Personne ne me fait de remarque mais… c’était pas super d’être responsable de cela. La responsable nous a alors proposé de faire le tour du camp en deux équipes si on voulait, avec chacun un cageot de nourriture. Nous nous sommes alors mis en route et avons par chance étés rejoints par un jeune homme afghan qui s’est proposé de nous servir de traducteur. Avec son aide, nous avons toqué aux portes pour proposer nos dernières barquettes. Petite parenthèse sur la frustration que je ressens face à langue. Pensant qu’il y aurait en majorité des Syriens, j’ai investi un certain nombre d’heures à apprendre du vocabulaire de base en arabe et ai délaissé ma liste de vocabulaire farsi alors qu’on final, j’ai l’impression que 80% des gens parlent farsi, qui est aussi parlé par les migrants iraniens.
Fin de soirée au retour

Nous quittons le camp vers 21.45. Nous sommes fatigués mais en grand besoin d’un débriefing autour  d’un verre. Deux arrêts de métro plus loin, nous réémergeons en plein milieu de la nightlife athénienne. Nous avons tous eu beaucoup d’émotions durant cette journée, nous avons beaucoup vécu et les discussions fusent. Evidemment, nous n’avons pas tous ressenti la situation de la même manière et différons sur certaines opinions. Mais lorsque je me rends compte qu’en fait nos affrontements d’idées concernent la manière dont ont pourrait aider au mieux les migrants, je suis touchée d’être entourée d’autant de belles personnes.



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